Dans la vie, Daniel Darc, le rescapé, parle avec des mots qui se bousculent, cognent parfois. À voix basse. Il partage sa passion pour la littérature de la « beat generation », la mythologie rock et son expérience spirituelle. Sans détours. Toujours attentif. Presque raisonnable. Son récent biographe, Pierre Mikaïloff (Cherchez le garçon, Éd. Scali) parle d’une beauté « dangereuse » qui est le propre des visionnaires ou des insoumis.
Ce n’est pas le parcours d’un enfant de chœur. On pourrait se contenter de compter ses tatouages comme autant de traces de toutes les secousses que Daniel Darc a subies ou provoquées. Et de ses ferveurs successives. Comme cette passion des arts martiaux. Mais le temps est devenu son principal aiguillon. Ses idoles – Dylan ou Keith Richards, le guitariste des Stones – ne sont plus de première jeunesse. Lui-même a été un jour surpris de lire dans un article qu’il était un « vétéran » du rock. « Je viens d’une époque où le rock était dangereux. Je suis de la première génération qui soit sortie vivante de la descente aux enfers et de la « solution » de drogues que certains avaient trouvée pour survivre », confie-t-il. Sa recherche radicale d’authenticité n’est pas passée inaperçue. Dans son public, certains témoignages lui font savoir que ses chansons ont sauvé des vies.
La sienne a pris un autre tournant lorsqu’il a rencontré le Protestantisme. Aujourd’hui, Daniel Darc avoue que l’enthousiasme du converti a laissé place au doute, légitime. Nourri de la Bible où se détache la figure du Christ, Celui qui rejoint ses disciples démoralisés sur le chemin d’Emmaüs, le chanteur n’élude pas cette étape de sa carrière. Daniel Darc n’est pas pour autant transformé en prédicateur.« Un jour, tu en as assez de haïr. Sans savoir encore aimer tout à fait. » Sa vie a changé depuis le succès de Crève cœur, album sorti en 2004 . Il peut désormais dépanner les amis. Et enregistrer dans de meilleures conditions. Ses albums veulent s’éloigner de la case « chanson » stricte. Ils dessinent un monde intérieur, fragile.
Ne manquez pas son tout nouveau « La taille de mon âme » (Sony Music). Une préconisation partagée par beaucoup dont les deux textes cités ci-dessous dont un écrit après sa prestation au Collège des Bernardins, à Paris pour le lancement du cycle « Monstres sacrés ».
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A LIRE…
La CROIX, Jean-Yves DANA (4 décembre 2011)
L’âme renaissante
En le voyant arriver de sa démarche fragile, les bras nus noircis par les tatouages, la voix exténuée mais le regard et le sourire intenses, des mots viennent à l’esprit : cabossé, mais « sacrément » vivant. La Taille de mon âme (Jive Epic/Sony), son nouvel album, est d’emblée apaisant. La valse lente de la chanson-titre y contribue, comme la mélodie solaire de C’est moi le printemps ou le violoncelle profond sur Ana . Daniel Darc y trimballe sa fragilité avec grâce ou autodérision. Sur C’était mieux avant – « Darc est Crad de temps en temps, Crad est Darc à chaque instant » . Ou sur Sois sanctifié et ces derniers mots : « Sois pardonné à jamais ».
Sur la pochette, l’artiste se tient agenouillé à l’intérieur d’une église (Sainte-Marguerite, à Paris). Il ne veut pas y mettre de message. « La photo me fait juste penser à Bad Lieutenant », glisse-t-il. Dessus, son blouson perfecto ouvert laisse pourtant apparaître la croix tatouée sur sa poitrine : « Elle est vide, le Christ est ailleurs. Le sacré pour moi, c’est le baptême, la Cène, la Bible, Dieu, les cinq solae »…
D’origine juive, Daniel Darc est protestant depuis 1997. Le moment où la foi chrétienne se révèle à lui est lié au décès de son père, pris en charge dans un centre catholique de soins palliatifs, même si « les deux faits ne sont pas directement liés ». À l’époque, Daniel Darc s’intéresse au message d’amour du Christ et voudrait lire le Nouveau Testament, il entame une conversation avec une sœur, rencontre un prêtre, n’accroche pas, chemine.
Dans une librairie de la Compagnie du livre chrétien, une femme lui propose de rencontrer son mari, futur pasteur. De fil en aiguille, le voilà au temple des Batignolles où l’accueille le pasteur Jean-Charles Tenreiro : « Un jour, j’avais fait tomber une Bible, je l’ai ramassée et embrassée. Il l’a aussitôt reprise, et rejetée, et m’a lancé : C’est un objet ! – Ce qui compte c’est ce qu’elle t’apporte. » Ce contact rugueux l’incite à revenir, jusqu’au baptême.
Daniel Darc ne se vit pas comme chanteur chrétien, même s’il a déjà mis le Psaume 23 en musique. Passionné de culture rock, il s’emporte même : « Les groupes trop chrétiens, je les trouve ridicules. Les Birds ou Curtis Mayfield sont chrétiens, mais, avant tout, ce sont des bons groupes de rock ou de soul. Et je ne parle pas de Bach ou Buxtehude… Chrétien n’est pas une excuse pour être mauvais ! Moi, je fais du rock. »
Mutation
De ce côté-là aussi, l’homme cabossé vient de loin. Influencé par le courant punk, il fut de 1978 à 1986 le chanteur du groupe Taxi Girl. Allure néoromantique, voix blanche, attitude ultra provoc. Sur une scène parisienne, il se tranche les veines en plein concert… Dépendant à la drogue, il entame une carrière solo, enregistre trois albums, tous boudés, s’enfonce, se défonce, dort dans la rue, séjourne en prison.
Son retour se fait en 2003 avec l’album Crève Cœur . Et la chanson Je me souviens je me rappelle, aux mots chargés de sens : « Une croix trop lourde pour moi, un bois qui pèse et m’écartèle, pourtant comme j’aimais cette croix. » La voix raconte sa noirceur, mais aussi ses lumières. Darc fait sa mutation. Son cœur et son âme sont passés sous un rouleau compresseur. Mais il est bien vivant.
Revue ETUDES, Nathalie SARTHOU-LAJUS, 14 décembre 2011,
Daniel DARC, sacré rockeur
L’ex-chanteur du groupe rock-punk Taxi Girl (1978-1986) en concert au Collège des Bernardins… Qui l’eût cru ? C’était le 6 décembre dernier, dans la superbe nef tout en longueur transformée en salle de concert. Daniel Darc interprétait en trio acoustique quelques-uns de ses plus beaux titres extraits notamment de son dernier album (2011), La taille de mon âme. Les colonnes et la rosace au fond de la nef vibrent encore des lumières bleu rouge rose de cette atmosphère rock intensément poétique. Certains (les cyniques) seront peut-être agacés par son romantisme absolu (La seule fille sur terre, Amours suprêmes, Jamais Jamais, Un jour un an…), d’autres (les fans de Taxi Girl tout autant que les gardiens du Temple) désorientés quand le rockeur au corps entièrement tatoué scande des prières (Sois sanctifié, Psaume 23), Bible à la main… L’univers rock de Darc est hanté par les récits de perdition et de rédemption, sur les trottoirs de ses nuits se croisent anges déchus et anges de la compassion (Inutile et hors d’usage, Serai-je perdu, J’irai au Paradis…). Après des années de défonce, d’excès et de traversée du désert, Darc ne fait pas de mystère sur l’importance de sa conversion au protestantisme dont sont empreints ses derniers albums en solo (Sous influence divine, Crèvecœur, Amours Suprêmes) qui marquent à la fois la renaissance d’un homme et le retour sur scène de l’artiste. Mais il refuse et à juste titre l’appellation de « rockeur chrétien » qui ne veut rien dire. Son univers ultra référencé emprunte à plusieurs arts et styles (Cash et Coltrane pour le Rock, Burrough et toute la littérature du mal, on songe aussi à Bad Lieutenant de Ferrara pour l’esprit et la couverture de son dernier album). La diction fragile (il se dit « plus doué pour l’addiction que pour la diction ») et le texte mi-chanté mi-parlé rappellent Gainsbourg. Pour autant, Darc n’imite personne. Dans l’existence comme sur scène, il fait figure de rescapé. Il avance tel un funambule sur le fil du rasoir et semble défier le néant qui l’entoure. Aux textes travaillés à l’os qui égrènent ruptures, deuils et échecs font souvent contrepoint des mélodies joyeuses ou balades nostalgiques, comme tous les grands chants tragiques du fado, du blues et du cante jondo. Il passe du registre de l’autodérision (« Crad est Darc ») à celui des comptines de l’enfance (C’est moi le printemps), mêle dans un même aveu célébration amoureuse et attente spirituelle (Si tu savais la taille de mon âme, sur fond de valse et d’extraits du film Les enfants du Paradis). Quand pour le final de son concert, un homme se penche aussi justement sur la taille de son âme, non seulement il effeuille un de ses plus jolis chant d’amour, mais il dépouille la prose ordinaire pour dire l’intensité d’une joie ou d’une douleur, et faire signe vers un ailleurs qui invite au silence. Nul doute que ce soir là, Daniel Darc était comme chez lui dans la nef du collège des Bernardins. Nous attendons la suite de cette programmation audacieuse des Bernardins qui, dans la catégorie « Monstres sacrés », semble annoncer d’autres concerts avec des icônes de la scène musicale contemporaine. Pour les curieux ou les inconditionnels de Darc, rendez-vous le 16 avril prochain au Trianon. L’ambiance sera peut-être plus électrique, mais sûrement moins recueillie.
http://www.revue-etudes.com/Arts_et_philosophie/Daniel_Darc__sacre_rockeur/7498/14257
Mon commentaire Merci Yann pour votre ouverture du coeur
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