Pierre Eliane (religieux carme). A l’écoute de Leonard Cohen. Hier et aujourd’hui.

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L’invitée du blog: P.Pierre Eliane. Religieux carme. A Lyon. Auteur, compositeur, traducteur.

Après une carrière d’artiste Pierre Eliane est entré dans l’ordre des Carmes. Il a poursuivi son oeuvre en adaptant notamment des textes de Sainte Thérèse de Lisieux. Il évoque pour le blog musical sa lecture de des chansons  du Canadien Leonard Cohen (1934-2016),  mort il y a six ans. Une oeuvre qui marque toujours des générations d’amateurs de poésie et de musiques. Entre mysticisme et incarnation. Pierre Eliane nous offre un titre de son répertoire évoquant Leonard Cohen et nous offre deux traductions en Français,

– Comment les chansons de Leonard Cohen ont-elles accompagné votre parcours?

– Pierre Eliane: J’avais 14 ans. Le transistor posé sur le frigo de la cuisine diffusait « The partisan ». Cette chanson m’a définitivement marqué par sa scansion litanique et peut-être aussi par ses paroles en Anglais et en Français. Les arpèges lancinants, le timbre de sa voix, ont fait de Léonard une référence désormais dans mon parcours musical. Et il se trouve que j’ai eu l’occasion de le croiser plusieurs fois, tant dans sa discographie qui établissait une sorte de biographie spirituelle qui m’influençait, que dans la vie réelle puisque j’ai fini par le retrouver chez CBS, la maison de disques où il était également. Mais tout a une fin. A la fin des années 80, même s’il gardait une place éminente dans mon panthéon poétique, Léonard n’était plus ma référence prioritaire. Et je choisissais un autre univers spirituel que la chanson en entrant au Carmel.

– Sa vie illustre une quête spirituelle permanente, dont 5 ans dans un monastère bouddhiste. Quel en est le fil rouge?

Léonard a déclaré dans une interview qu’il était « un homme terrorisé » (sic). Le fil de rouge de sa vie était le fil de tout un chacun : celui du sens de la vie, Dieu, la finitude, le sexe, etc… Le Bouddhisme qu’il a pratiqué lui donnait un refuge contre la violence du monde et ses tempêtes intérieures. Il n’y avait pas de contradiction pour lui entre le Judaïsme dont il était issu et le Bouddhisme qui pour lui était comme il disait : « une discipline ».

Ce qui ne l’a pas empêché à la fin de sa vie de déclarer avoir aucune aptitude à la vie spirituelle. Comment recevez- vous ce paradoxe?

Léonard Cohen a toujours ‘surfé’ sur l’ambiguïté entre les valeurs les plus hautes et le bouillonnement des passions humaines, y compris les plus fangeuses. Sans doute n’a-t-il jamais voulu renoncer fondamentalement à la sensualité. Ma conviction est que tout homme a une aptitude à la vie spirituelle puisque c’est la vocation humaine ! Mais entre la chair et l’esprit il y a tout le combat d’une tragédie antique et moderne que Léonard Cohen a distillé dans ses chansons.

Que représente pour lui la figure de Jésus? Dans ses chansons également?

Comme chacun sait, Jésus fait l’objet d’un couplet entier de la célèbre chanson « Suzanne ». Il semble que le Christ aie été pour Cohen un « perdant magnifique ». Un héros prophétique et incompris mais certainement pas le Verbe incarné des Chrétiens.

Vous avez traduit les chansons de Cohen. Où sont les difficultés?

Les difficultés sont d’abord celles de l’abîme récurent de l’herméneutique. Que veulent dire ces paroles, à commencer dans la langue d’origine. Léonard disait lui-même qu’il ne savait pas très bien ce qu’il avait voulu dire dans ses chansons ! Il y a ensuite les difficultés technique et rythmique de l’Anglais pour un Français. Une certaine licence d’adaptation est parfois nécessaire, c’est par exemple ce qu’a fait Graeme Allwright et Léonard lui-même lui en était satisfait.

Qu’est- ce que Cohen peut dire aujourd’hui à un croyant?

Pour moi, aujourd’hui, la vraie question est : qu’est-ce que l’Esprit Saint peut dire à travers la culture contemporaine Il y a toujours le risque d’un mysticisme confus. Même dans « The book of mercy » dans lequel Léonard Cohen écrit une sorte de recueil de psaumes pour ses cinquante ans, et d’une manière générale, dans ses adresses à Dieu (Léonard s’adresse souvent à Dieu) on peut trouver une invitation à la vie intérieure et à la prière mais ça reste confus comme dans la chanson « Hallelujah ». Cette chanson fait partie de  l’album« Various positions » sorti en 1984 et pour moi « If it be your will » dans ce même album est une meilleure expression de ce que Cohen peut dire aujourd’hui à un croyant : « Qui que vous soyez, soyez humble devant Dieu ».

Comment interprétez vous le sens de la chanson Hallelujah? Comment expliquez- vous son succès international?

Je pense que la plupart des auditeurs ignore les paroles de cette chanson et d’autant plus un public non anglophone. A peine entend-t-on une mention du roi David… Le succès n’a aucune recette définitive mais il est évident que pour cette chanson, l’expression « Hallelujah » (1) suffit comme explication. C’est comme un cri magique venant du plus profond de l’histoire religieuse et biblique. A la fois louange et plainte juive et catholique, devenue universelle et irrésistible : « Dieu soit loué ! ».

– L’avez- vous rencontré ou correspondu avec lui?

J’ai répondu tout au début à cette question. Oui, je l’ai rencontré plusieurs fois. Je conserve un petit mot de lui… Et je lui ai écrit une chanson « Song to Len » (voir ci-dessous) qui était dans mon album « Littérature » qui est sorti en 1984.

(1); Voir l’article de Nathalie Lacube dans La Croix du 18 octobre. L’écriture de cette chanson a demandé 7 ans et de nombreuses versions. Il en existe plus de 600 interprétations à ce jour..

A lire: Leonard Cohen de Pascal Bouaziz, éditions Hoëbeke, 20 p., 25 €.

Suzanne

Song to Len

 

Si c’est ce que tu veux (If it be your will). Traduction de Pierre Eliane

if it be your will

that i speak no more

and my voice be still

as it was before

i will speak no more

i shall abide until

i am spoken for

if it be your will

if it be your will

that a voice be true

from this broken hill

i will sing to you

from this broken hill

all your praises they shall ring

if it be your will

to let me sing

from this broken hill

all your praises they shall ring

if it be your will

to let me sing

if it be your will

if there is a choice

let the rivers fill

let the hills rejoice

let your mercy spill

on all these burning hearts in hell

if it be your will

to make us well

and to draw us near

and bind us tight

all your children here

in their rags of light

in our rags of light

all dressed to kill

and end this night

if it be your will

if it be your will

si c’est ce que tu veux

que je ne parle plus

et que ma voix soit telle

qu’elle était

je ne parlerai plus

je resterai là

je parlerai pour toi

si c’est ce que tu veux

si c’est ce que tu veux

qu’une voix soit fidèle

depuis cette colline brisée

je chanterai pour toi

depuis cette colline brisée

toutes tes louanges résonneront

si c’est ce que tu veux

me laisser chanter

depuis cette colline brisée

toutes tes louanges résonneront

si c’est ce que tu veux

me laisser chanter

si c’est ce que tu veux

s’il y a un choix

que les rivières débordent

que les collines se réjouissent

que se répande ta miséricorde

sur tous ces cœursqui brûlent en enfer

si c’est ce que tu veux

pour notre bien

pour nous ramener plus près

et nous tenir bien serrés

tous tes enfants ici

dans leurs haillons de lumière

dans nos haillons de lumière

tous vêtus pour tuer

et achever cette nuit

si c’est ce que tu veux

si c’est ce que tu veux

Suzanne (extrait)

…./….

Jésus était un marin

qui a traversé des rivières

il a guetté pendant longtemps

depuis sa tour de bois solitaire

et quand il a été certain

que seuls les noyés pouvaient le voir

il dit tous les hommes seront marins

jusqu’à ce que la mer libère

mais lui-même il fut brisé

bien avant que le ciel soit ouvert

abandonné presque humain

il a coulé comme une pierre

et tu veux partir avec lui

et tu veux partir vers l’infini

et tu penses que peut-être tu croiras en lui

car il a touché ton corps parfait

avec son esprit.

 

 

Une réponse à “Pierre Eliane (religieux carme). A l’écoute de Leonard Cohen. Hier et aujourd’hui.”

  1. Avatar de Assé
    Assé

    Leonard (Cohen) méritait au moins autant que Bob (Dylan) le Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre !

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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