Yves DUTEIL, « Dieu déteste l’orgue de nos barbaries »

Publié le

L’invité du blog: 40 ans de carrière depuis le premier 45 tours en 1972! Yves Duteil mesure le chemin parcouru en offrant une nouvelle biographie  (1) et un album de 12 titres, « Flagrant délice », (Distribution Rue Stendhal).  La soixantaine sereine l’artisan de tant de chansons entrées au répertoire populaire (On se souvient que « Prendre un enfant par la main » a été promue chanson du XXème siècle dans un sondage Sofres), le chroniqueur de nos impasses, des saisons de nos existence, de nos bonheurs et de nos élans de générosité n’a pas ménagé sa peine pour son nouveau message d’un poète citoyen. Un ton qui n’exclut pas les coups de gueule, à l’occasion. Sans oublier que l’artiste chante pour que chacun puisse s’accorder à son propre destin.
Je peux affirmer sans hésiter que ce 14ème album enregistré en studio laisse entendre un artiste en prise avec  un public le plus large possible. Tous ceux qui apprécient des chansons qui mènent quelque part ne manqueront pas ce rendez-vous. « C’est l’harmonie qui nous console de tous les pièges du chemin » saisit le parolier dont on connait le talent pour écrire cette « langue de chez nous » chère à tant d’autres créateurs de par le monde. Sa grammaire de l’impossible conjugue des rêves et des sentiments.
Les nouvelles chansons tissent le fil du temps sur des musiques douces: le temps qui blesse, le temps qui passe, le temps qui fait grandir un amour.  Le temps jadis avec ses pages dramatiques et ses héros au quotidien (« La chanson des Justes »). Le temps qui dorénavant presse,   s’accélère, comme il le suggère avec brio dans une des chansons de cet album aux accents ciselés. « Je t »MMS » (Je T apostrophe M) décrit la conversion du fondateur du label l’écritoire aux médias les plus contemporains, canaux pour entretenir nos liens. Des plus intimes aux plus lointains. Du « concentré de tendresse », de « la douceur en abrégé », inspirés par « sa Noëlle ».
Yves Duteil rappelle volontiers que c’est à sa mère qu’il doit son amour des mots et de la musique. Sa famille a compté dans ses choix et ses chansons. Le Parisien a  écrit ses premiers refrains dès l’âge de 15 ans, à la guitare. Il cherche d’abord sa voie dans une école de commerce et fréquente l’incontournable Petit Conservatoire de Mireille, tremplin de plusieurs générations. Il chante ensuite, à l’occasion, au début des années soixante-dix aux terrasses des cafés. Du côté de la place de la Contrescarpe où l’on pouvait tenter sa chance. Bien avant tous les concours télévisés et médiatisés d’aujourd’hui. On retrouvera son parcours sur son site.
« Dieu est entré dans ma vie sur la pointe des pieds, par la voie de la douleur. Et un jour je me suis aperçu que je priais » confie celui qui tint longtemps une chronique dans le mensuel « Panorama » (groupe Bayard). Il préfère une approche ouverte, instinctive, des religions et de la spiritualité.  L’éternité questionne le pèlerin marcheur parti hier sur les chemins de Compostelle.  Ses chansons font écho aux questions de chacune et chacun. De la naissance à la mort. Et après.
« Qu’y a t-il après?
Quand nos âmes ont disparu
Quand nos coeurs ne battent plus
Près de ceux qu’on aime?

Je cherche déjà les chemins d’éternité
Qui pourront guider mes pas pour te trouver… »
Les couleurs du ciel ne le détournent pas pour autant de la terre et de la sauvegarde de la Création. Quelques accords de guitare et voilà que les questions de beaucoup affleurent:
« Dans l’infini ou dans nos coeurs.
Et si la clé était ailleurs.
Défier la mort et rassembler les milliards de grains de beauté
Disséminés dans l’univers
Ee l’amour qu’il reste à donner pour l’offrir à l’éternité. »
(1) « Profondeur de chant », avec Alain Wodrascka, préface de Véronique Sanson. Aux éditions l’Archipel, 144 p., 60 photos et illustrations, 24,95 €.
*******
Quelles sont les musiques, anciennes ou récentes,  évoquant Dieu que vous avez entendues  et appréciées?
Yves DUTEIL: « La prière » chantée par Brassens, qui professait un irrespect quasi institutionnel pour les curés, est un « Je vous salue Marie » particulièrement émouvant. « Oh Happy day » a quelque chose de magique qui nous parle de Jésus (« When Jesus washed our sins away », (Quand Jésus a lavé nos péchés) porté par ces voix célestes et harmonieuses de Gospel, est un hymne à la ferveur.
Selon vous, Dieu aime-t-il la musique ?
Il aime l’harmonie, quand les Hommes sont en accord parfait. Il déteste l’orgue de nos barbaries.
Au paradis quelles musiques y entend-on ?
De la musique d’ascenseur, et en bas, en bruit de fond, les soldats qui chantent en canon…
Quelles sont les musiques qui, selon vous, invitent  à la prière ?
La petite musique du silence. Rien n’est plus propice à la prière, au recueillement, au questionnement. C’est là que nos petites voix du dedans peuvent enfin remonter vers la surface, et nous murmurer ce que le tumulte du quotidien nous empêche d’entendre…
Que chantent les anges  musiciens ?
« On ira tous au paradis » de Polnareff… Certains voudraient entonner  « Si j’avais les ailes d’un ange » de Robert Charlebois, mais les autres répliquent par  « Charlie, t’iras pas au Paradis » de Gilbert Bécaud…
Si la prière était une chanson, une musique,  laquelle choisiriez-vous ?
Le Boléro de Ravel, qui m’évoque une foule qui se rassemble peu  à peu, pour faire monter vers le ciel une prière de plus en plus puissante…
Qu’aimeriez vous « chanter » à Dieu en le rencontrant ?
« Où que je sois dans l’univers
Tu es ma force et ma lumière
Et j’avance dans la nuit noire
Là où tu poses ton regard… »
(« Le simple fait que tu existes », extrait de l’album « Sans attendre » /2001)
Quelles sont dans votre discothèque personnelle les musiques, les chansons qui sont vos préférées. Les dix musiques et chansons  à emporter sur une île déserte?
« Soirées de Princes » (Pierre Delanoë)
« Toulouse » (Claude Nougaro)
« Mon enfance »  (Jacques  Brel),
la B.O. de « La liste de Schindler » (John Williams),
« A day in the life » (The Beatles)
« Ma révérence » (Véronique Sanson),
«Embargo » (Art Mengo)
«Corcovado » (Astrud Gilberto)
« Ma plus belle histoire d’amour » (Barbara)
Tout Brassens.
Quel est le refrain qui vous a le plus marqué ?
Le plus amusé, je dirais…
« Femme que j’aime, c’est ta ta ta ta,
Femme que j’aime mais ce n’est pas toi » (Michel Polnareff)
Peu nombreux sont ceux qui ont compris qu’il fallait commencer par « c’est » et non par « femme », ce qui éclaire la chanson toute entière : « C’est ta (-ta-ta) femme que j’aime et ce n’est pas toi » La suite est encore plus explicite :
« Et ce que toi tu prends pour une chanson,
Qui te-te plaît bien…
C’est un aveu tourné à ma façon
Mais tu n’y comprends rien… »
Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous ?
Naturellement Jacques Brel, Georges Brassens, Félix Leclerc, mais aussi Paul McCartney, James Taylor, Vinicius de Moraes, Jean-Sébastien Bach, Claude Nougaro, Barbara, Laurent Voulzy, Alain Chamfort, Julien Clerc, Jean Ferrat, Michel Legrand, Eddy Marnay, Pierre Delanoë, Gilles Vigneault… et des dizaines d’autres…
La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce ?
« le Sacre du Printemps » (Igor Stravinski). C’était la répétition générale d’un concert donné ensuite à l’Opéra Bastille, l’orchestre symphonique était extraordinaire de cohésion, c’était plus que parfait, ébouriffant d’énergie et de précision.
Si Dieu était une chanson, une musique, laquelle serait-ce ?
Le silence après Mozart…
*****
Le blog d’Yves Duteil: http://blog.yvesduteil.com/blog/
Sur le site du Hall de la Chanson: http://www.lehall.com/consultez-l-histoire/artistes/duteil-yves
Sur le site de LA CROIX: http://www.la-croix.com/Culture/Musique/Yves-Duteil-mon-dimanche-c-est-une-sorte-de-recreation-_EP_-2012-01-06-754952
Chez Bayard Musique, 101 chansons, « dans l’air des mots », en 2008; « Mes escales », 2 CD, 2010. http://www.qobuz.com/album/mes-escales-yves-duteil/3260050785334
« Intimes convictions », Best Of, 3 CD, 2011 (Emi)

7 réponses à “Yves DUTEIL, « Dieu déteste l’orgue de nos barbaries »”

  1. Avatar de pascal guillot
    pascal guillot

     » le silence après Mozart, c’est toujours du Mozart  »
    pour compléter la conclusion de l’auteur.

  2. Avatar de pascal guillot
    pascal guillot

    quant aux  » orgues  »
    oui, il y a eu les orgues à eau dans les jeux romains
    mais, les orgues de barbarie qui accompagnent la chanson de rue
    et les grandes orgues qui accompagnent le chant des fidèles ou qui jouent des pièces d’une architecture inouï qui demande une attention particulière : une grâce qu’il faut saisir ?

  3. Avatar de Lepetitchose
    Lepetitchose

    Les chansons d’Yves Duteil ont marqué ma jeunesse : elles me ramènent devant ma mère qui prépare le repas dans notre maison d’enfance, face à mon père qui joue aux échecs avec moi, au milieu de mes sœurs qui se trémoussent et cherchent les fées dans notre appartement… A la suite de la lecture de votre billet, je me suis demandée si l’âge, le sien comme le mien, nous avait éloignés. Rien du tout : sa douce voix me va toujours droit au cœur, ses mélodies me donnent toujours le sourire. Merci de m’avoir rappelé cette histoire d’amour oubliée 🙂

  4. Avatar de ROMANO
    ROMANO

    BONJOUR,
    J’ouvre « tres indiscrètement » et tres régulièrement la porte du BLOG YVES DUTEIL et cela depuis bientot 6 ans… YVES (et NOELLE, sa moitié, l’autre partie de lui….) sont des enchanteurs. Bien sûr il y a eu tous ses succès mais depuis la sortie de « TOUCHE » (1997) et le suivant en 2001 « SANS ATTENDRE » (déjà vite, dire… témoigner… pour finalement sans donner de leçon, convaincre qu’il est urgent de parler…) que DUTEIL est devenu comme une lumière, une référence pour beaucoup. Avoir repris la plume et la guitare après ce qui fut probablement la plus grande peur de sa vie ( PEUR DE PERDRE SA FEMME) nous permet d’avoir des textes de « référence » superbement bien écrits et mis en musique. Comme tout le monde la souffrance l’a mûri et l’a rendu TRES proche de tous ceux qui ECOUTENT ses mots, ses phrases…Car il faut ECOUTER LES PAROLES D’YVES DUTEIL, pas seulement se contenter d’entendre UN titre, TOUS les titres des albums sont IMPORTANTS . Sa musique aussi (et particulièrement sur le dernier album « FLAGRANT DELICE ») . Dans l’article il parle de la « musique du silence » pour mieux ENTENDRE DIEU… il a sorti il y a quelques années un ouvrage « MA FRANCE BUISSONNIERE » et pour l’avoir parcouru je peux dire que l’on retrouve dans cet ouvrage des photos de paysages ou de lieux qui INVITENT à méditer, avant peut-être de laisser DIEU frapper à notre porte… Car n’est-ce pas DIEU qui EST LA en ATTENTE et non le contraire ? Ouvrons la porte de nos coeurs, comme YVES laisse ouverte la porte du sien (et CELLE DU BLOG A PART YVES DUTEIL)
    MERCI YVES !!! TROUBADOUR DE NOTRE SIECLE FOU….. ROSELYNE- TOULON

  5. Avatar de GASPARD
    GASPARD

    Merci Yves pour votre présence encore au coeur de la chanson française et votre persévérance dans votre création et votre engagement citoyen qui est totalement à contre-courant des médias. Ils ne savent pas ce qu’ils perdent.
    Ce matin, j’ai été à l’enterrement de la maman d’une amie qui vous admire beaucoup. Mon amie s’appelle Monique Chaussy, 216 montée des tours, 13160 Châteaurenard.
    Je sais qu’elle vous avez fait parvenir un livret de vos chansons écrit à la plume.
    Et j’ai vécu une eucharistie très profonde et un hommage à sa maman qui a eu 11 enfants très profond
    or en regardant mes mails, j’ai vu mariage pour tous
    chanson Yves Duteil et je suis tombée sur votre blog.
    Merci encore.
    Bernadette

  6. Avatar de rau
    rau

    Oui , c’est vrai , vous, le seul à écrire Ce qu’on ressent ! Vous me soulagiez de dire ce que je vivais enfant et continuez maintenant J’ai 33 ans et mes sentiments continuent comme ces textes… enfin bref!
    Même si vos paroles me font pleurer d’émotion c’est que ce sont les plus belles qu’il puisse exister sur terre; un poète comme on n’en fera jamais plus!
    Merci pour tout, à bientôt j’espère? Passerez vous chanter à Chalons en Champagne ou dans ses alentours ?Amicalement: Isabelle

  7. Avatar de comte
    comte

    Merci YVES POUR TA POESIE DANS CE MONDE PARFOIS SI CRUEL;
    Pour revenir au couple je revendique la formule non de deux moitiés,je préfère la formule mathématique un peu fantaisiste 1+1=1 soit deux personnes égalent une entité,une union.Quand on est la moitié de quelqu’un ça réduit l’être aimé qui a le droit de rêver dans sa propre bulle et ceci est accepté des deux partenaires.
    Grosses bises à toi YVES QUI M’ACCompagne en silence dans mes épreuves et en chansons quand je retrouve la joie de continuer;Martine la maman d’une AMANDINE de 23 ans et de sa soeur Aloïse de 18 ANS
    Merci pour tout.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

    Lire la suite

À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

Les derniers commentaires

Articles des plus populaires