Michel Cool, Brel, Calogero, Pagny et Dylan!

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Journaliste, producteur d’émissions de radio, essayiste, Michel Cool décline sa passion pour la chanson qui dit l’âme d’un peuple.
Quelles sont les chansons, anciennes ou récentes,  évoquant Dieu que
vous avez entendues et appréciées?

La première qui me vient à l’esprit, ou plutôt à l’oreille, c’est la
chanson d’Edith Piaf, composée peu après peut-être la mort de Marcel
Cerdan : « Mon Dieu, mon Dieu rendez-le moi mon amoureux… ». La voix
suppliante et déchirante de la chanteuse et le crescendo tragique de
la romance qu’ont fredonnée plusieurs générations de Français forment
un souvenir musical émouvant, maintenant ancien, qui me ramène au
temps où le transistor ronronnait sur le frigidaire de la cuisine de
mon enfance… Plus tard, j’ai mis du temps à comprendre à qui
exactement s’adressait Gilbert Bécaud dans sa chanson au titre radical
« Je t’appartiens ». Non, ce n’était pas une banale chanson d’amour
magistralement orchestrée, mais une sorte de prière d’abandon au
Créateur du monde et au Père adoptif de tout homme : de manière moins
dépouillée et plus spectaculaire que la prière d’abandon de Charles de
Foucauld, rédigée dans son ermitage du Sahara, elle exalte la
paternité invisible mais indivisible de Dieu. Cette chanson me touche
encore plus aujourd’hui depuis que j’ai approfondi et enrichi ma
relation filiale avec Dieu grâce à des expériences significatives de
ma vie comme l’intégration dans notre famille d’un jeune Vietnamien ou
plus récemment mes rencontres avec des moines et des moniales qui
vivent intensément chaque jour dans leur cloître leur relation filiale
avec le Seigneur.
Selon vous, Dieu aime-t-il les chansons ?
Oui, je crois, car elles lui disent sans trop de « tralala » ce que
les hommes ont dans
leur ventre et dans leur coeur. Les chansons populaires ou de variété,
comme on dit,
reflètent toujours l’âme cachée d’une époque, le for intérieur d’une
génération, les
remue-méninges spirituels d’une société. Dieu, le sondeur suprême de
nos reins et
de nos coeurs, doit certainement apprécier ces remontées de nos peines, de nos
joies et de nos doutes aussi, que lui font parvenir en haussant leurs voix nos
troubadours et nos chanteuses. Dans son infini sagesse, Il a sans
doute fait la même
observation qu’un de mes amis théologiens : les hommes et les femmes du XXIème
siècle manquent cruellement d’un père dans les bras duquel ils peuvent aller se
blottir quand leur horizon vital ou leur coeur s’obscurcit, voire se
ferme. Cette
absence capitale et cette solitude immense sont très bien évoquées par Calogero
dans sa chanson intitulée « Si seulement je pouvais lui manquer ». J’ignore si
l’auteur a été inspiré par le thème du silence de Dieu qui déconcerte
tant de nos
contemporains. En tout cas les paroles de cette chanson expriment pour moi l’une
des grandes causes souterraines, souvent mises sous le boisseau, du
désenchantement et du désarroi contemporains : le sentiment de manquer
d’un père.
« Est-ce qu’il va me faire un signe
Manquer d’amour n’est pas un crime
J’ai qu’une prière à lui adresser
Si seulement
Je pouvais lui manquer »
Voilà une chanson qui mieux qu’un sermon ou un traité de théologie
pointe l’un de
nos drames humains, que nous soyons d’ailleurs mécréants ou croyants : ne pas
prendre au sérieux cette vérité suprême que nous sommes aimés à chaque
instant et
pour toujours par un Père prodigue, miséricordieux et fidèle
par-dessus le marché !
Au paradis quelles musiques y entend-on ?
La musique étant universelle et intemporelle, tous les genres et
toutes les modes
y ont droit de cité, je pense. Dieu est un mélomane infini et parfait
qui, rappelle
cependant la Bible, a en prédilection l’écho de « fin silence » du
vent. Aimer le
silence et apprécier la musique ne sont pas deux penchants contradictoires et
incompatibles. Au contraire ! Les amoureux du silence, à l’instar des
moines et des
moniales, ne sont-ils pas les mieux disposés au chant et à la
psalmodie et en même
temps les mieux à même de discerner dans le silence la voix discrète
et secrète de
Dieu ?

Que chantent les anges musiciens ?
En contemplant les anges si humains et fraternels peints par Arcabas
sur ses toiles,
je les imaginerais volontiers chanter à notre intention, nous les
désailés de la planète
Terre, si souvent déroutés, apeurés et désespérés, un célèbre refrain
du répertoire
de Michel Fugain et de son Big Bazar qui fit un malheur dans les hit
parades dans
des années 70. Oui, moi je verrais bien nos anges gardiens chanter à
nos oreilles
saturées d’informations et de messages souvent catastrophiques, cette bossa nova
de la libération intérieure :
« Fais comme l’oiseau
Ça vit d’air pur et d’eau fraîche, un oiseau ».
Si la prière était une chanson laquelle choisiriez-vous ?

Incontestablement la chanson de Florent Pagny, « Savoir aimer ».
J’ignore si ce chanteur connaît les Béatitudes. Sa chanson en tout cas
m’inspire de
les lire, de les relire, et surtout d’essayer de les appliquer dans
mon quotidien – ce
qui n’est pas facile – , car plus que les égoïsmes et les vanités de
la société ce sont
ses propres égoïsmes et vanités qu’il faut s’échiner à surmonter et à
dépasser…
C’est pourquoi j’aime surtout le dernier refrain de cette chanson :
Mais savoir donner
Donner sans reprendre
Ne rien faire qu’apprendre
Apprendre à aimer.(..)
Rien que pour le geste
Sans vouloir le reste
Et apprendre à Vivre
Et s’en aller.
Qu’aimeriez vous chanter à Dieu en le rencontrant ?
Le refrain de la plus belle chanson de Jacques Brel : « Ne me quitte pas » !
 Pour avoir eu trop souvent l’impression sur terre d’être abandonné
par Lui, je ne voudrais pas que, une fois arrivé au Ciel, il me fasse
encore défaut! Cette chanson de Brel est une sublime déclaration
d’amour à une femme. Il ne m’en voudra pas, de là ou il se trouve
maintenant, au paradis des musiciens, de la détourner légèrement de
son sens originel pour en faire une prière au Père éternel. Brel, ce
mystique ravagé par le doute, n’avait pas son pareil pour maquiller en
chanson une prière qui taisait son nom.
Quelles sont dans votre discothèque personnelle les chansons qui sont vos
préférées
?
Je suis par nature réceptif à toutes les formes de musiques et de chansons. Mais
mon oreille est particulièrement sensible à l’heureux mariage qui peut
se réaliser
entre une belle voix et un beau texte. La liste serait trop longue à établir des
chansons qui obéissant à ce critère font partie de ma discothèque : Parmi celles
que je ne me lasse pas de réécouter (comme on revoit de vieux films
indémodables)
je citerais : « In the upper room », negro spiritual interprété par
Aretha Franklin ;
« Guantanamera » par Joan Baez dont je suis un admirateur infatigable ; « Il est
libre Max » d’Hervé Christiani : le personnage décrit dans la chanson
est quelqu’un
à qui j’aimerais ressembler : je ne dois pas être le seul à en juger
par le succès inter
générations de cette chanson !
– Quel est le refrain qui vous a le plus marqué ?
« Une chanson douce » d’Henri Salvador. Je crois que c’est la première chanson
que j’ai entendue, puis bredouillée quand j’étais enfant. J’ai été ému
plus tard de
l’entendre chanter par son interprète sur la scène du palais des Congrès à Paris
quelque temps avant qu’il ne rejoigne, lui aussi, le paradis des musiciens. Les
chansons de Marcel Amont, drôles et légères, ont aussi bercé mon
enfance : « bleu,
bleu, bleu le ciel de Provence… » ou « un « Un Mexicain basané »
sont des airs qui
réveillent des saveurs d’enfance et de grandes vacances… Leurs
paroles et leurs
mélodies résistent bien à la fuite du temps et aux trous de mémoire…
Ils m’arrivent
de les entonner à des fêtes de famille ou des dîners entre amis. Ces chansons
entretiennent bien plus que des souvenirs ou de la nostalgie ; elles
constituent des
réservoirs inoxydables de bonne humeur, de douceur et d’optimisme à partager…
Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent
pour vous ?
Jacques Brel, pour une multitude de raisons… A cause, sans doute, du « plat
pays » qui est notre patrimoine familial, géographique et culturel commun ; à
cause surtout de son irremplaçable talent, de sa foisonnante
inspiration et verve
poétique ; de sa capacité d’indépendance, d’irrévérence et de
rébellion qui est la
marque des hommes complètement libres et démesurément généreux ; de son
mystérieux et bouleversant attrait pour cette « inaccessible étoile »
qui l’empêcha
de vieillir trop vite ; à cause de sa présence immense et renversante
qui, malgré
qu’elle ait déserté les scènes, continue de faire chavirer mon music
hall personnel.
La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une chanson, laquelle
était-ce ?
En 2001, en écoutant « La tendresse », une chanson de Daniel Guichard,
interprétée
dans une église … C’était lors de la messe d’enterrement de
Jean-Pierre Dubois-
Dumée, le co-fondateur avec Georges Hourdin de Télérama et le créateur du
mensuel Prier. A l’émotion crée par la disparition de ce grand
journaliste auquel je
dois beaucoup à titre personnel et professionnel, se sont greffées les
paroles de
cette chanson qu’il aimait et avait souhaité faire entendre à ses amis
à l’heure de son
ultime voyage. Je ne peux entendre à nouveau cette chanson sans penser à Jean-
Pierre, à son sourire accueillant, à ses yeux pétillants
d’intelligence et d’amitié, à sa
voix paisible et humble… A sa façon, il était une icône discrète de
la tendresse vécue
au quotidien ; un sentiment, il faut bien reconnaître, précieux autant
que rare dans ce
que sont devenus nos moeurs médiatiques….
Si Dieu était une chanson laquelle serait-ce ?
« Dans le souffle du vent » de Bob Dylan.
Cette chanson, outre qu’elle est un des chef-d’oeuvre de Dylan, un auteur et un
interprète majeurs de notre temps, qui lui-même a été interprété par
des chanteurs
français que j’aime comme Hugues Aufray et Francis Cabrel, correspond bien à
l’idée que je me fais de la relation au divin. Pour entendre sa voix,
il faut savoir à la
fois dresser une oreille aux complaintes du vent et une autre à la
rumeur – triste ou
joyeuse – de notre humanité.
L’homme n’est qu’un souffle, dit un psaume ; c’est pourquoi Dieu se
fait souffle pour
le rejoindre sans l’effrayer, pour essayer au moins d’attirer son
attention souvent
distraite sur l’essentiel qui comme le disait Saint-Exupéry est
invisible pour les yeux
mais pas pour le coeur.
Quant à la rumeur du monde, il est impératif de l’écouter et s’en
préoccuper si l’on
désire se rapprocher du ciel : car l’homme a besoin de la médiation du prochain
pour rencontrer vraiment Dieu. La dernière strophe de la chanson de
Dylan est très
éloquente sur ce point :
« Combien de fois lèverons-nous les yeux
Avant d’entrevoir la lumière ?
Combien de fois aurons-nous prié Dieu
Sans même un regard pour nos frères ?
Combien de morts, d’enfants et de soldats
Avant de cesser le combat ?
Pour toi, mon enfant
Dans le souffle du vent
Pour toi, la réponse est dans le vent »

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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