Isabelle SOLARI, les éditions Ad Solem. « La note LA, tellement juste… »

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L’invitée du blog: Les éditions Ad Solem viennent de  fêter leurs 20 ans à la maison de la conférence des évêques de France, à Paris. C’est en 1992 que le fondateur, Claude Martingay, avait passé le relais à Isabelle et Grégory Solari pour diriger cette maison d’édition installée au départ en Suisse.  Aujourd’hui, Ad Solem affiche près de 200 titres à son actif  et regroupe 80 auteurs dont le Cardinal Ratzinger devenu le Pape Benoît XVI . La liturgie tient une part notable dans le catalogue Ad Solem. « Nous croyons qu’elle est le milieu naturel du chrétien » assure Gregory Solari venu au catholicisme depuis  la confession protestante calviniste.
Grégory Solari aime définir l’édition comme la réunion d’un art et d’une science. « Un art, parce qu’il faut savoir choisir un format, une police (de caractère) sentir un texte pour lui donner la forme adéquate; une science, fixée par les typographes, qui étaient souvent de grands humanistes, et qui obéit à des règles précises de mise en page. »
Pour cet amoureux des mots, le livre est une métaphore de l’homme. Si l’homme disparaît, le livre aussi. C’est dire le soin qui est apporté à chaque volume. Ad Solem est désormais installé à Paris. Isabelle Solari,  poète, éditrice et mère de famille, répond en musique à notre questionnaire.
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Quelles sont les musiques, anciennes ou récentes, évoquant Dieu que vous avez entendues  et appréciées?
– Isabelle SOLARY: Comme tout le monde, je pense : « Jésus, que ma joie demeure » de Jean-Sébastien Bach. Puis, l’Ave Maria de Schubert que nous avons fait jouer à l’enterrement de notre quatrième enfant. Et enfin, plus près de nous, le Stabat Mater d’Arvo Pärt.
Selon vous, Dieu aime-t-il la musique ?
Plus que cela ! Il « est » musique, car l’Amour se chante toujours.
Au paradis quelles musiques y entend-on ?
La plus parfaite des harmonies qui dépasse toutes nos musiques.
Que chantent les anges  musiciens ?
Un Te Deum dans le plus parfait grégorien.
Si la prière était une chanson, une musique,  laquelle choisiriez-vous ?
L’Alleluia chanté pour la fête de l’Ascension. C’est une magnifique montée de la voix, de la terre au ciel.
Qu’aimeriez vous « chanter » à Dieu en le rencontrant ?
« L’amour est enfant de Bohême » dans l’opéra Carmen de Georges Bizet, pour Lui remettre enfin toutes les amours de la terre. Mais c’est Dieu, finalement, qui chanterait, car c’est Lui qui nous dit : « et si tu ne m’aimes pas, je t’aime… et si je t’aime, prends garde à toi », car l’Amour de Dieu nous désarçonne toujours et nous mène là où tout se perd dans l’inconnaissance…
Quelles sont, dans votre discothèque personnelle, les musiques, les chansons qui sont vos préférées. Les dix musiques et chansons  à emporter sur une île déserte?
Toutes celles dont je vous ai parlé, et « la Mer du Nord » de Jacques Brel parce que le rivage belge de cette mer est mon « pays » poétique natal. Mais, si je devais partir sur une île déserte (ce qui, soit dit en passant, serait un vrai cauchemar !), je n’emporterais que mon Missel grégorien, pour y chanter ces merveilleuses pièces musicales pétries par le temps, que l’Eglise nous a laissées comme une Mère prévenante et sage. Je comprends que certains Catholiques restent impressionnés par le grégorien – et parfois au mauvais sens du terme – car le grégorien est le silence mis en musique. Jean de la Croix écrit quelque part : « Dieu a donné son Fils dans le silence, et dans le silence, le Verbe se fait chair ». Je crois qu’il faudrait simplement dire aux fidèles que le silence est une parole, pour qu’ils comprennent comment le silence demandé peut aussi être une participation « active » à la messe.
Quel est le refrain qui vous a le plus marqué ?
Si vous dites « refrain », vous pensez « chanson ». Je crois que le chant accompagne nos vies et nos saisons, et que nos préférences peuvent varier selon ces dernières. Enfant, je chantais « A Toi la gloire ! » à tue-tête au culte protestant dans lequel mes parents m’ont élevée. Aujourd’hui, ce chant me fait pleurer, car il évoque mes souvenirs et mes parents décédés. Alors, je me dis que le plus beau des chants est le silence d’une âme apaisée devant Dieu.
Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous ?
La musique de Franz Schubert est pour moi la plus poignante; ce compositeur viennois du XIXe siècle a donné en musique toute la richesse de l’Europe : la joie, les larmes, l’alliance du sacré et du profane et, d’un point de vue strictement musical, les plus belles harmonisations en mode mineur. Après lui, vient Gustav Malher, autre Viennois, qui a ouvert la porte sur tous les tourments du XXe siècle. La musique, aussi, est prophétie. Penser que Malher a composé les Kindertotenlieder, magnifiquement interprétés dans les années 50 par Kathleen Ferrier, sans savoir que quelques mois plus tard, lui et sa femme perdraient leur fille de 5 ans… c’est bouleversant ! Ecouter une symphonie de Malher dirigée par Claudio Abbado, ça aussi, c’est époustouflant. Le Requiem de Mozart, par Michel Corboz, fut pour moi une grande émotion. Et la fameuse chaconne de Bach jouée au violon par un premier prix de conservatoire m’a comblée de joie.
La dernière fois où vous avez été émue en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce ?
Je pense que vous l’aurez compris, je suis constamment émue par la musique, et je sais aussi qu’il faut parfois s’en dessaisir. Toute musique n’est pas bonne à l’âme !
Si Dieu était une chanson, une musique, laquelle serait-ce ?
Un « la » tellement juste que nos âmes tressailliraient de joie. La sainte Vierge est sûrement la seule créature à avoir entendu la musique de Dieu. Et elle la fait descendre sur nous comme des pluies de grâce que les rayons de sa statue à la chapelle de la Rue du Bac essaient de symboliser. Nous devons répondre : « Me voici! ».
 
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A lire: dans La Croix du 29/11/2012
Gregory Solari: «Le livre participe de la culture chrétienne»
Ad Solem fête cette année ses vingt ans d’existence. Son fondateur, Gregory Solari,  parle de son métier d’éditeur et de sa passion pour les textes bien écrits et mis en valeur par une impression de qualité.
La Croix: Comment êtes-vous devenu éditeur?
Grégory Solari :  Par amour du livre; on se découvre éditeur en lisant beaucoup et en se demandant tout à coup: pourquoi tel livre n’existe pas? Dans mon propre itinéraire, c’est la rencontre avec un libraire, Claude Martingay, en 1984, qui m’a fait basculer de la position de lecteur à celle d’éditeur de livres. En 1968-1969, on lui avait proposé un manuscrit dont personne ne voulait à Paris. C’était L’Ermitage . Ayant lui-même fait une expérience de vie monastique chez les chartreux, il l’a trouvé exceptionnel et a décidé de le publier. Il a créé une niche éditoriale qui s’est appelée collection Ad Solem dans sa librairie. Et ce fut un succès. Ce premier livre s’est vraiment imposé comme la marque propre d’Ad Solem: une écriture habitée par l’expérience de Dieu. En 1992, à cause de l’âge, Claude Martingay s’est retiré et il m’a transmis le fonds qui comportait alors quinze titres, tous des ouvrages de spiritualité, la plupart venant du monde cartusien. J’ai transformé la collection en maison d’édition et je l’ai ouverte progressivement à la théologie, à la philosophie et, depuis cinq ans, à la poésie.
Quelle est ligne éditoriale  d’Ad Solem?
G. S.:  La ligne s’est dessinée d’elle-même, sans avoir été réfléchie: c’est l’articulation entre la foi et la culture. La foi ne peut pas être reçue sans une culture préalable qui a préparé sa réception: la Parole de Dieu est toujours reçue médiatement, à travers la parole humaine. Et en même temps, la culture sourd de la croyance, comme un excès qui attendait un exaucement. Il y a un mystère qui entoure l’origine de la culture et ce mystère avoisine celui de la croyance. Nos livres essaient d’explorer cette interaction de la croyance et de la culture. Avec le temps, je me rends compte qu’il s’agit au fond d’une longue méditation sur le langage, sur la Parole, dont le livre est le réceptacle privilégié. C’est pour cette raison aussi qu’Ad Solem accueille de la poésie. Dans un monde saturé de logorhée, la poésie est la clairière du Verbe. C’est à lui que nos livres veulent reconduire, à travers le chemin des mots.
Avez-vous une politique d’auteurs?
G.S.:  Depuis une dizaine d’années, ce sont les auteurs qui viennent spontanément à nous. L’identité d’Ad Solem s’est progressivement dégagée du monde de l’édition pour attirer un profil particulier d’écrivains, que ce soit dans le domaine de la théologie, de la spiritualité, de la liturgie, de la poésie. Je pense au P. Cassingena-Trévedy, à Nathalie Nabert, à Gérard Bocholier, dont le dernier livre comprend un envoi de Philippe Jaccottet. Les auteurs que nous éditons sont autant des hommes d’écriture que des hommes d’idées: d’une certaine manière, chez tous, la poésie, au sens large du terme, est l’achèvement de leur pensée. Voilà pourquoi la liturgie occupe une place importante dans notre fonds. Et ils viennent à nous en raison du façonnage de nos livres, c’est-à-dire la manière dont nous transposons une idée dans une forme typographique– page, livre, etc.
Vos livres sont réputés être de beaux objets, bien typographiés…
G. S.:  Genevois d’origine, je suis héritier de la tradition éditoriale romande, qui se caractérise par l’accent mis sur la typographie pour mettre en valeur le texte, dans sa forme comme dans son fond. De ce point de vue, je suis un éditeur romand pour la forme et français dans l’esprit. Ce mix est effectivement original en France et distingue nos livres de la production éditoriale française, en tout cas celle du monde religieux. Mais ce n’est pas un souci esthétique. Il n’y a pas que les bonnes idées qui comptent: la forme est au service du fond et doit aider à sa compréhension.
Ceci ne vaut-il pas particulièrement pour l’édition religieuse?
G. S.:  Tout à fait. Il y a un discours silencieux de la vérité: c’est la beauté– une beauté qui peut rendre crédible cette vérité aux yeux de ceux qui ne croient pas. «Ça rend sérieux la religion» , m’a dit un jour un maquettiste avec qui je travaillais. L’édition religieuse doit donc veiller à ne pas rogner sur la qualité des ouvrages en prétextant que le message qu’ils contiennent est « sublime ».
Le déploiement du numérique est-il une menace pour le livre religieux?
G. S.:  Oui et non. Oui, dans la mesure où le secteur de l’édition religieuse traverse une phase difficile. Les gens lisent moins, les ventes baissent, des maisons sont fragilisées, des librairies ferment. Le maillage qui sert à la diffusion du livre est en train de se défaire. Non, dans la mesure où le livre apportera toujours quelque chose que les supports numériques ne peuvent pas apporter. Je m’explique. Chaque croyance religieuse génère d’elle-même des formes culturelles qui lui sont propres.
Pour le christianisme, il y a le livre, le codex qui prend la suite du rouleau. Le rouleau avec son mouvement d’ouverture et de fermeture, d’enroulé et de déroulé participe de deux cultures: le paganisme avec l’éternel retour et le judaïsme qui s’achemine vers son accomplissement, qui le touche et se replie sur lui-même. Le christianisme adopte le codex, car celui-ci a quelque chose à voir avec la culture chrétienne. Sa forme véhicule l’idée de fin– de la ligne, de la page –, de totalité, chaque page étant solidaire d’un tout.
Le livre lui-même est une sorte de continuité du corps humain. Dans l’édition, on parle d’ailleurs de pied et de tête pour désigner les marges, des nerfs de la reliure, des caractères de la typographie, de l’œil d’une lettre. Il y a donc dans le livre quelque chose qui est absent du rouleau. Et les tablettes numériques, qui déroulent le texte, ne sont pas autre chose qu’un retour au rouleau. Le livre chrétien ne peut donc passer au numérique sans perte. C’est pourquoi je crois qu’il a encore un avenir. Dans le même temps, l’éclipse du livre est aussi un marqueur de l’éclipse de la culture chrétienne qui doit nous interroger.
Un coup de cœur parmi les livres  que vous avez édités?
G. S.:  Ceux de Philippe Mac Leod, qui nous est fidèle depuis plus de dix ans. Philippe était libraire à Paris. Il a tout quitté il y a une quinzaine d’années pour vivre dans la solitude et répondre à une double vocation, de prière et d’écriture. Il publie sa poésie chez Le Castor astral et ses livres de spiritualité chez nous. Il arrive aujourd’hui à un moment de maturité qui confère une qualité de profondeur et de vérité d’être très rare à ce qu’il écrit. Son dernier livre, Avance en vie profonde , est exceptionnel. Il synthétise ce que nous essayons d’être dans l’édition: un appel à l’essentiel.
Recueilli par DOMINIQUE GREINER
Le site: http://www.editions-adsolem.fr/

Une réponse à “Isabelle SOLARI, les éditions Ad Solem. « La note LA, tellement juste… »”

  1. Avatar de pascal guillot
    pascal guillot

    Bravo et merci :
    une quête d’intelligence, de questionnement, loin de l’assiduité dans le mensonge sucré aussi inconscient soit-il.

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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