François Huguenin-Maillot, historien des idées, essayiste. Vient de publier « Le pari chrétien, une autre vision du monde ».
François Huguenin, né en 1965 à Lyon, est historien des idées et essayiste. Il a publié une série d’ouvrages qui font référence sur l’histoire des idées et du christianisme, notamment Histoire intellectuelle des droites (Perrin, 2012) et Les grandes figures catholiques de la France (Perrin, 2016). Il vient de publier « Le pari chrétien, une autre vision du monde » (éditions Taillandier, 222 p., 16,90 €) qui tente de donner des clefs pour comprendre le rapport des chrétiens à un monde qui ne l’est plus, en évitant les écueils de la dilution et du repli. L’ouvrage aborde trois domaines concrets : les points cruciaux d’éthique sociale (justice sociale, partage des richesses, régulation de la consommation, écologie) qui ne cessent d’interroger les chrétiens, quel que soit leur bord politique supposé ou avéré ; les débats liés au respect de la vie (avortement, euthanasie), à la dignité de la personne humaine, à l’anthropologie (mariage pour tous, PMA,GPA), toujours passionnés et complexes; et donc celui, très actuel, de l’immigration et de l’accueil des étrangers qui est à mi-chemin entre l’exigence du respect de la dignité humaine et la question de la pauvreté.
François Huguenin est marié et père de cinq enfants.
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– Quelles sont les musiques, anciennes ou récentes, évoquant Dieu que vous avez entendues et appréciées?
–François Huguenin: J’ai tendance à penser que toute musique digne de ce nom (je ne parle de ces produits de consommation à qui l’on donne indûment ce nom), parce qu’elle va dans un au-delà de la parole, rejoint Dieu dans ce qui est indicible par nos mots, soit en tutoyant le mystère de sa présence réelle et invisible, soit en révélant le cri de sa créature qui, au cœur de ses limites, aspire à cet au-delà qui est son seul vrai port d’attache. Je vais donner quelques exemples dans le cours de votre questionnaire ! Mais d’ores et déjà, je peux citer en emblème de cette quête, l’allegretto de la 7e symphonie de Beethoven. Ici dans la version dirigée par Bernstein (j’aurais pu choisir Fricsay ou Kleiber) : https://www.youtube.com/watch?v=vCHREyE5GzQ
– Selon vous, Dieu aime-t-il la musique ?
Il se pourrait que Dieu se soit incarné pour entendre la musique des hommes ! Plus sérieusement, je crois qu’il est venu pour habiter notre fragilité, et cela m’évoque une des plus belles chansons pop, Sea Song de Robert Wyatt : https://www.youtube.com/watch?v=8Co0_BZiLdg
–Au paradis quelles musiques y entend-on ?
La musique des corps glorieux. C’est-à-dire, la nôtre, transfigurée. Et parfois, nous l’entendons déjà ici-bas, au hasard d’un concert ou la grâce se déploie. J’ai envie de vous proposer la magnifique version pour piano de Surf’s Up de Brian Wilson (pour moi la plus belle chanson du monde) qui m’invite à la louange et à la contemplation.
https://www.youtube.com/watch?v=s3TRns_zssM
– Quelles sont les musiques qui, selon vous, invitent à la prière ?
Bien sûr il y a tout notre patrimoine de musique sacrée, et je ne donne qu’un exemple tellement vibrant avec le Stabat Mater de Vivaldi chanté par Carlos Mena https://www.youtube.com/watch?v=TayRLwuUEwM. Mais la musique profane l’est tout autant. Par exemple cette sonate pour violon et clavecin de Bach BWV 2017 dans la version ardente de Leila Schayegh et Jörg Halubek, où l’enlacement du violon et du clavecin figure un baiser d’amour entre l’homme et Dieu : https://www.youtube.com/watch?v=0Fi2qonZ1W8
Mais j’ajouterai toute une musique pop qui connecte au cœur de l’homme, à cet endroit précisément où l’homme rencontre Dieu. Par exemple, une chanson récente comme Driving under the influence of the loneliness de Flotation Toy Warning nous conduit au plus intime de l’âme, à la fois dans quelque chose de très archaïque qui touche au mystère de notre création et dans un déploiement qui a quelque chose de liturgique et de mystique.
https://www.youtube.com/watch?v=cd5YZADvBgw
– Que chantent les anges musiciens ?
Sans aucun doute la gloire de Dieu, et donc celle de Marie qui, à l’Annonciation, a dit oui à l’Esprit Saint et permis de toute sa volonté, de toute sa foi et de tout son amour, au Verbe de prendre chair en elle. Et donc à Dieu de se faire homme pour que l’homme devienne Dieu. Et c’est sans doute ce Salve Regina de Victoria, pour moi le plus émouvant compositeur de la Renaissance, dans la version charnelle et solaire de Jordi Savall.
https://www.youtube.com/watch?v=q1iub53c74A
–Si la prière était une chanson, une musique, laquelle choisiriez-vous ?
Peut-être ce sommet qu’est le 4e mouvement de la 3e symphonie de Mahler, toute cette symphonie d’ailleurs… https://www.youtube.com/watch?v=mWHMzMhYvdw
– Qu’aimeriez vous « chanter » à Dieu en le rencontrant ?
La montée au Paradis m’évoque cette chanson de Grandaddy, So you’ll aim toward the sky, qui célèbre une libération et une épiphanie de la rencontre. Je voudrais chanter cela…
https://www.youtube.com/watch?v=NEF0Ksb1ACE
– Quelles sont dans votre discothèque personnelle les musiques, les chansons qui sont vos préférées. Les dix musiques et chansons à emporter sur une île déserte?
Allez, je me lance : il y aurait aujourd’hui quatre albums pop :
- Pet Sounds des Beach-Boys https://www.youtube.com/watch?v=K67Q73GYQe8
- Smile de Brian Wilson dans l’album achevé en solo dont je vous livre une jubilatoire version live : https://www.youtube.com/watch?v=8UbNwhm2EX8
- Rock Bottom de Robert Wyatt
https://www.youtube.com/watch?v=-4AhdWGci3c
- The Juliet Letters d’Elvis Costello avec le Brodsky Quartet, son disque le plus humain et le plus aérien. En témoigne le sublime morceau de conclusion The Birds will still be singing
https://www.youtube.com/watch?v=QU90eXT-agc
Et donc six disques classiques :
- les suites pour violoncelle de Bach par Ophélie Gaillard : ici la sarabande de la 3e suite https://www.youtube.com/watch?v=pAOnJcKn5JY
- les derniers quatuors de Beethoven par les Berg, avec en exemple la grande fugue op. 133 https://www.youtube.com/watch?v=auwPo72ju7Q
- les sonates de Schubert par Kempff (au moins les trois dernières et la Reliquie), pour leur inimitable tenue et leur bouleversant cantabile, avec au sommet le fameux andantino de la D959 https://www.youtube.com/watch?v=xru4kyw8S6o
- les nocturnes de Chopin par Maria-Joao Pires qui les chante comme personne https://www.youtube.com/watch?v=Dti7IJcIEDE&t=400s
- les symphonies de Mahler par Bernstein à la tête du NYP, ici la 3e : https://www.youtube.com/watch?v=2-ujTjBSqsk
- le concert de Besançon par Lipatti, son dernier concert avant de mourir où il livrait le plus merveilleux Bach jamais entendu https://www.youtube.com/watch?v=9etK1RuN2jc et un 3e impromptu de Schubert de l’op.90 dont la beauté tragique est à couper le souffle https://www.youtube.com/watch?v=9tjstsWoQiw .
– Quel est le refrain qui vous a le plus marqué ?
Peut-être Losing My Religion de REM que j’ai découverte en 1991 dans une île grecque, par la grâce du son d’un autoradio émanant d’une voiture invisible. A ce moment le ciel avait rejoint la terre. Il me semble que c’est la chanson parfaite. En voici une vibrante version acoustique : https://www.youtube.com/watch?v=4Q5vpdozqM0
– Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous ?
Je ne peux citer que les plus importants, mais tant d’autres ont marqué ma vie ! Victoria, Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Mahler au premier chef aujourd’hui. Chez les interprètes : Fricsay, Bernstein et Savall pour les chefs ; Lipatti, Kempff, Clara Haskil et Maria-Joao Pires pour les pianistes ; et puis, en pop, Les Beatles, Brian Wilson, les Kinks, les Zombies, les Byrds, les Left Banke, Love, Robert Wyatt, Pink Floyd, Nick Drake, Joy Division, Elvis Costello, les Smiths, Divine Comedy, Eyeless in gaza, les Nits, Elliott Smith, Sufjan Stevens, Grandaddy, Flotation Toy Warning.
– La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce ?
J’aimerais rendre hommage à une jeune chanteuse française, Clio. Une chanson comme Chamallow’s song a une qualité de mélancolie inégalable : https://www.youtube.com/watch?v=3Z2RPv1ruQw
– Si Dieu était une chanson, une musique, laquelle serait-ce ?
Qui peut y prétendre à part Bach ? Avec le pape François, je dirais que le nom de Dieu est miséricorde. Et donc ce serait le verset Et misericordia du Magnificat de Bach, magnifié par Damien Guillon et Jordi Savall : https://www.youtube.com/watch?v=xx_eciRQKcg
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A lire dans LA CROIX du 31 janvier 2018.
François Huguenin : Les catholiques ont tendance à se retrouver par « chapelles », selon leurs affinités et leurs convictions, dans leur paroisse, leur mouvement ou les communautés dont ils sont proches. Le plus souvent, les fidèles manquent de lieux et de culture du débat. Ils demeurent avec ceux qui pensent comme eux et n’ont donc pas vraiment l’occasion de débattre. Aussi, lorsqu’une voix discordante apparaît, elle suscite bien souvent le rejet voire la condamnation. Mais, le peu d’appétit pour le débat peut se comprendre. En effet, lorsqu’on est une minorité, il est humain de vouloir se retrouver en Église sans conflit. Et je ne pense pas que la paroisse soit le lieu adapté. Je ne suis pas certain que les prêtres soient formés pour ça. Pour un débat fécond et éviter que cela ne dérape, il faut une méthodologie et des gens bien armés.
Peut-on débattre de tout ?
F. H. : Je pense que l’on peut débattre sur ce qu’on peut faire en partant du principe – que l’on ne discute pas – qui est de dire : l’IVG est toujours un mal. En revanche, débattre pour dire l’inverse de ce que dit l’Église sur des sujets majeurs, qui touchent à l’option préférentielle pour le plus faible (l’enfant à naître, le réfugié, le pauvre…), je n’en vois pas l’intérêt. On ne va pas débattre sur la Trinité aussi, par exemple.
En revanche, il est tout à fait possible de le faire sur les modalités de mise en œuvre des grands principes : que dire de l’avortement dans un monde qui n’est plus chrétien ? Comment appliquer l’exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia (La joie de l’amour) ?
Comment concilier l’unité et la diversité ?
F. H. : En France, en général, nous avons beaucoup de mal à débattre. Il n’y a pas de culture d’un débat serein. Le pays est idéologisé et comme les questions politiques se mêlent aux questions religieuses, les catholiques ne sont pas exempts de ces tensions. Nous avons des difficultés à être dans la bonne posture entre des catholiques godillots et des catholiques avec la culture de la contestation.
Je me méfie de ceux qui décernent des brevets de catholicité. On devient chaque jour chrétien et ce n’est jamais acquis. Le jour où les catholiques – autant les « rigides » que les « progressistes » – auront accepté le fait d’être une petite minorité, nous pourrons accepter qu’il existe des situations complexes, être plus unis autour des principes et inventifs sur leur mise en application.
A voir sur la chaîne KTO, le numéro de l’émission « L’esprit des lettres »:
http://www.ktotv.com/video/00178781/l-esprit-des-lettres-de-janvier-2018
A ré-écouter sur rcf, radios chrétiennes francophones:
https://rcf.fr/spiritualite/temoins-de-la-foi/le-retour-des-catholiques-levangile
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