Sans conteste Jacques Brel est un des artistes les plus cités par les participants de ce blog. Au même titre, ou quasi, que Jean-Sébastien Bach. Voilà une bonne occasion de renvoyer à des articles récents qui évoquent la carrière du chanteur et le destin d’un homme.
A relire dans LA CROIX du 22 août 2012
Le grand Jacques, ami des Marquisiens
Frédéric Mounier
‣ Brel vint finir sa vie à Hiva Hoa. Inconnu sur ces rivages, il sut se faire aimer de la population.
Lorsque, le 19 novembre 1975, Jacques Brel et sa compagne Madly abordent l’île d’Hiva Hoa par la minuscule baie de Tahauku, après cinquante-neuf jours de mer sur leur ketch Askoy, ils pressentent qu’ils abordent leur « dernier terrain vague ». Au mouillage, personne ne les reconnaît. À terre, un boulanger chinois, deux épiceries, une église, l’école des sœurs et une poste. À son guichet, quelque temps plus tard, le chanteur s’inquiétera d’un éventuel courrier reçu. « Jacques qui ? », lui fera répéter le postier, qui deviendra plus tard son ami.
Se sachant atteint d’un mal incurable, Brel avait décidé, l’année précédente : « Il faut partir, n’emporter que son cœur, et n’emporter que lui, mais aller voir ailleurs. » Ailleurs, ce fut Atuona, chef-lieu de l’île. En quelques semaines, le couple s’installe dans une maison et s’insère vite dans le tissu local. Madly donnera des cours de danse à l’école des sœurs, même si son compagnon s’accroche avec le curé, lorsqu’il passe : « Les religions détournent les hommes des choses importantes », lui assène-t-il. « Que sais-tu faire ? », lui avait demandé le prêtre lorsque Brel lui avait dit vouloir rendre des services. « Chanter », avait répondu, tout naturellement, le grand Jacques.
Des services, le chanteur belge en a rendu beaucoup.
Parce que le cinéma n’était jamais arrivé à Atuona, il fit don d’un projecteur 35 mm, qu’il faisait fonctionner lui-même. Il est aujourd’hui exposé à l’« Espace Jacques Brel ». Mais surtout, Brel aimait piloter. Il comprit vite l’utilité de ce moyen de transport dans ce bout du monde, isolé de tout. Il acquit donc, le 30 novembre 1976, Jojo, un bimoteur Beechcraft D 50 Twin Bonanza, lui aussi exposé aujourd’hui à Atuona, après sa restauration par Dassault. Transports en tous genres, évacuations sanitaires : Brel pilotait tout, au service de tous.
Cette trace est toujours présente à Atuona, qui conserve aussi le souvenir de ses ripailles en compagnie du maire de l’époque, Guy Rauzy, de Marc Bastard, l’ancien officier de marine devenu romancier et prof de maths à l’école des sœurs, sans oublier Raymond Roblot, l’ancien viticulteur bourguignon.
Constatant le progrès du mal qui le rongeait, il avait choisi le lieu de sa sépulture, au cimetière marin du Calvaire, face à l’océan, à deux pas de la tombe de Gauguin : « Nous serons les deux larrons autour du Christ en croix. » Depuis sa mort, le 9 octobre 1978, ils y sont toujours, pour l’éternité.
Et l’écho renvoie toujours ces vers ultimes du chanteur : « Par manque de brise, le temps s’immobilise aux Marquises. Du soir montent des feux et des points de silence qui vont s’élargissant et la lune s’avance. Et la mer se déchire infiniment brisée par des rochers qui prient des prénoms affolés, et l’alizé se brise. (…) Gémir n’est pas de mise aux Marquises. »
« « il faut partir, n’emporter que son cœur, et n’emporter que lui, mais aller voir ailleurs. » »
– Un portrait de soeur Rose qui était directrice du collège Sainte Anne, alors que Brel s’installait aux Marquises: http://www.ddec.pf/cesa/06EC-lemouzy.pdf
– Deux émissions sur France Musique dans Les Greniers de la mémoire: http://sites.radiofrance.fr/francemusique/_c/php/emission/popupMP3.php?e=35&d=515000798
Un texte du chanteur Julos Beaucarne, paru dans LA CROIX en juillet 2008. « Le plat pays une chanson de peintre ».
« Je réécoute Le Plat Pays ce 9 juillet 2008 chez moi à Tourinnes-la-Grosse, en Brabant wallon, sous un ciel si bas qu’un canal se perd encore, il monte de cette chanson de peintre une immense mélancolie perceptible encore ici aujourd’hui. Oui, c’est à peu près le même ciel gris que celui de la chanson de 1962. L’inspiration est puissante comme la mer, la chanson est cosmique, sacrée à force d’être répétée, le ressac des mots a pris des millions d’oreilles. Brel était un peintre qui a cru toute sa vie qu’il faisait de la chanson, la chanson dont nous parlons le rend éternel. M. Brel, qu’êtes-vous allé faire à Hiva-Hoa des Marquises ? Est-ce la mer qui vous parlait ou les cocotiers ou les chevaux blancs qui fredonnaient Gauguin. Vous avez fait glisser nos ciels gris dans l’inconscient collectif francophone, la pluie est toujours traversière et ce plat pays est toujours le vôtre et le mien par la même occasion jusqu’à plus ample informé avec cette Belgique indécise en équilibre instable au bord de la cassure, de la brisure. « L’union fait la force », la devise de la Belgique semble ne plus être de saison, il faut souhaiter que cette devise ne dérive pas en « Les coups font les bosses ». Monsieur Brel, votre chanson est un phare au bord de la mer du Nord. Parler d’une chanson qui laisse entrevoir tout, qui ouvre les grandes portes du rêve, n’est-ce pas faire double emploi, « pléonasmer » en quelque sorte ? Un surréaliste belge dont j’ai oublié le nom écrivait : « Chez nous le ciel est si bas que toutes les maisons d’un étage sont des gratte-ciel. » La Flandre pourrait prendre Le Plat Pays comme hymne national, bien sûr… mais ce serait alors pousser au paroxysme le surréalisme de notre étrange pays devenu au fil des temps une manière d’Absurdisthan. Cher Jacques, s’il arrivait que la Flandre se sépare de la Wallonie me sera-t-il encore permis de dire « Ce plat pays qui est le mien » ? »
BEAUCARNE Julos
Mon commentaire Merci Yann pour votre ouverture du coeur
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