L’invité du blog: Samuel Lievin. Journaliste. Nouveau président du festival « Via Aeterna » du Mont-Saint Michel et de sa baie, dont la 8 ème édition se tient du 25 septembre au 8 octobre. Dédié à la musique classique et sacrée. Un tour du monde en 20 concerts.
Samuel Lieven est le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire « Le Pèlerin« . Lors de la 27 ème édition, le 9 septembre, du Grand prix des médias, organisé par CB news, l’hebdo a obtenu une mention spéciale pour son opération éditoriale « Une amitié hors normes » à partir du livre paru aux éditions Xo, « Soeurs de douleurs » (Roseline Hamel, Nassera Kermiche.
Ma prière à six cordes
C’est un geste tout simple: caresser les cordes d’une guitare, du plus grave au plus aigu : Mi-La-Ré-Sol-Si-Mi. Les cordes résonnent à vide. Pas besoin de savoir jouer, pas besoin de poser des accords. Fermez les yeux : c’est déjà une musique, déjà une prière.
«Mi». C’est le socle. La note fondamentale qui fait tout vibrer: les gens, les objets, les paysages… Joyeuse, légère, la guitare sait pourtant être grave, profonde comme la terre. Ce «Mi» a tout fait basculer le jour de mes 11○ans, quand une amie de mes parents m’a offert ma première guitare. La musique, c’est d’abord une émotion, un partage, une rencontre. Raphaël Feuillatre ne nous dit pas autre chose: la guitare l’a choisi, enfant que rien ne prédestinait à devenir l’un des plus virtuoses de sa génération (p. 28). Rendre la musique et le beau accessibles à tous : c’est le vœu que forment Bayard et Le Pèlerin en accompagnant le festival Via Aeterna, dans la baie du Mont-Saint-Michel (p. 50).
«La». C’est la note qui met l’orchestre à l’unisson. Qui accorde et réaccorde. Si l’on faisait vibrer un «La» géant, ramènerait-il un peu de concorde à l’Assemblée, dans nos institutions, dans les rues agitées, les cœurs révoltés ? Quand je joue de la guitare, je veux y croire !
«Ré». C’est ma couleur préférée. Une note claire. Un vibrant appel à cesser le fracas des armes sur les terres ensanglantées d’Ukraine, du Proche-Orient et d’ailleurs. Naïf ? L’Ode à la Joie, l’explosion de paix et de fraternité qui conclut la Neuvième Symphonie de Beethoven, en Ré majeur, me donne toujours la chair de poule. Elle est le symbole de l’Europe.
«Sol». C’est la corde pivot, entre les graves et les aigues. Elle ne paie pas de mine, mais c’est bien elle qui porte l’accord et lui donne sa couleur. Ce sont les héros discrets du quotidien, comme nombre de «boomers» que nous célébrons dans ce numéro (p. 22).
«Si». Note fragile, instable. Elle épouse les douleurs de ce monde. C’est le père Filiberto qui s’oppose aux cartels du Mexique (p. 34). Cet homme me fait songer au père Marcelo Pérez, que j’avais rencontré au Chiapas, en 2023. Son combat lui a coûté la vie l’an dernier, abattu à la sortie de la messe pour avoir résisté aux cartels. Heureux les artisans de paix.
«Mi». La plus haute note de cette courte prière. Comme le Mont-Saint-Michel, elle ouvre vers la lumière et l’espérance : un doigt pointé vers le ciel, solidement campé sur son socle.
Samuel Lieven
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–Quelles sont les musiques, anciennes ou récentes, évoquant Dieu que vous avez entendues et appréciées ?
-Samuel Lieven: Deux immuables : Bach et Mozart. S’il fallait choisir : Bach. Tout Bach : musique chorale, instrumentale… Mais je n’irais pas jusqu’à dire que Dieu lui doit tout.
Codicille Renaissance : le Miserere d’Allegri. Un soir de l’été 2000 alors que je travaillais à Rome, j’ai été réveillé vers minuit par une chorale qui l’entonnait sur une terrasse, à la sortie d’un concert. J’ai ouvert les volets dans un demi-sommeil. Mieux qu’un rêve : un cadeau. Grazie ! Plus récent ? L’époustouflant Sinnerman de Nina Simone et l’inévitable God Is de Kenny West, que mes ados repassaient en boucle à sa sortie.
–Selon vous, Dieu aime-t-il la musique ?
Dieu est musique. Faites silence et tendez l’oreille… ça joue !
– Au paradis, quelles musiques entend-on ?
« Il n’y a pas de grandes ou de petites musiques, mais des bonnes et des mauvaises… Celle-ci fait partie des bonnes ! » C’était en 1992 au Vivat, la salle de spectacle d’Armentières (Nord), l’année de mon bac. Épaisse crinière blanche, accent italo-grec d’Alexandrie, petits yeux rieurs derrières de grosses lunettes en écaille, le guitariste Alexandre Lagoya (1929-1999) nous offrait le dernier bis de la soirée. Un air populaire, comme le public venu l’écouter. Tout le monde était au paradis. Je suis sûr que Lagoya y joue le même air.
–Quelles sont les musiques qui, selon vous, invitent à la prière ?
Toutes les bonnes musiques (cf. réponse précédente)
–Que chantent les anges musiciens ?
« In Paradisum » du Requiem de Gabriel Fauré.
–Si la prière était une chanson, une musique, laquelle choisiriez-vous ?
La Prière (Brassens)
– Qu’aimeriez- vous « chanter » à Dieu en le rencontrant ?
« Toi, toi si t’étais l’bon Dieu, tu ne serais pas économe de ciel bleu… Toi, toi si t’étais l’bon Dieu, tu f’rais valser les vieux aux étoiles… Mais tu n’es pas le bon Dieu, toi tu es beaucoup mieux : tu es un homme ! » (Brel, le Bon Dieu)
C’est une petite prise de risque mais s’il nous a vraiment faits à son image, ça ne devrait pas lui déplaire…
– Quelles sont dans votre discothèque personnelle les musiques, les chansons qui sont vos préférées. Les dix musiques et chansons à emporter sur une île déserte?
- Göttingen (Barbara)
- Voir un ami pleurer (Brel)
- Les Passantes (Brassens)
- Sa jeunesse (Aznavour) et arrangement pour guitare de Roland Dyens
- Do it now (McCartney)
- Toccata en ré mineur pour violon (Bach) et transcription pour guitare
- Recuerdos de l’Alhambra (Tarrega)
- Les Impromptus (Schubert)
- Maria Teresa y Danilo (Hansel y Raùl) – la première salsa que mon épouse Sandra, originaire de Colombie, m’a fait découvrir
- La Cura (Franco Battiato)
– Quel est le refrain qui vous a le plus marqué ?
La Valse à mille temps. J’avais 13 ans et je vidais le lave-vaisselle après une sévère engueulade (qui aime vider un lave-vaisselle ?) quand le radiocassette de la cuisine, branché sur RTL, envoie ce monument que je n’avais jamais entendu. Ce jour-là, je suis tombé dans la marmite brélienne…
– Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous ?
Brel échappé loin devant. Après plusieurs décennies de compagnonnage, je pensais ne plus avoir besoin de l’écouter. J’ai recommencé récemment, juste pour voir. Quand j’étais ado, Brel me bouleversait. Aujourd’hui, il me terrasse !
Juste derrière, un trio très serré : Barbara (à éviter quand ça va bien… et quand ça ne va pas bien), Brassens (rien à jeter) et Ferré (surtout pour son premier répertoire et ses interprétations d’Aragon).
Mention particulière pour Ferrat, dont la voix et la diction merveilleuse ont bercé ma petite enfance car ma mère l’écoutait beaucoup.
Et les autres… On peut citer les Italiens Fabrizio de André (cousin transalpin de Brassens) et Franco Battiato (foudroyant d’éclectisme et de créativité), le Colombien Carlos Vives qui a modernisé et mondialisé le vallenato, les grandes voix argentines Mercedes Sosa et Los Visconti.
– La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce ?
Petite Fleur (Sydney Bechet) qui passait sur TSF Jazz, ça m’a rappelé les soirées Claude Luter au Petit Journal Saint-Michel, à la fin des années 1990, avec sa bande d’octogénaires imperturbables qui régalaient de leurs dernières notes nos oreilles néophytes.
– Si Dieu était une chanson, une musique, laquelle serait-ce ?
Une berceuse.


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