Hallelujah, une chanson culte en forme de monument à revisiter.

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https://youtu.be/m3z4TD4nC3E?si=vOBNnoJgo09Xli5Q

Faut-il adapter des chansons entrées dans la légende? La question est relancée après la reprise d‘Hallelujah de Leonard Cohen par l’artiste Vianney. Première surprise, le 7 décembre dernier lors du concert de réouverture de Notre-Dame de Paris. C’est alors que sous les voûtes de la cathédrale et accompagné par un orchestre symphonique dirigé par Gustavo Dudamel qu’un large public a découvert les paroles écrites par Vianney pour la circonstance. Le chanteur et compositeur vient de raconter dans l’émission « C’est à vous » (France 5) » les circonstances de cette adaptation qui a failli ne jamais se produire..Invité deux mois à l’avance par courrier à participer au concert, Vianney n’avait tout simplement pas ouvert le courrier postal. Relancé quelques jours avant la date de réouverture il a réalisé qu’il était bien parmi les invités et a écrit en quelques heures (dans le RER) le texte donné à Paris. Un grand moment d’émotion raconte-t-il. D’autant, précisait-t-il encore, qu’au départ le texte originel du titre pouvait apparaître déplacé en cet instant.

Voilà que Vianney vient d’éditer ce 15 avril un single qui reprend la chanson et a offert une vidéo à son public, tournée devant la cathédrale. Un texte librement inspiré par le moment précise Vianney qui a reçu l’accord des ayant-droits pour cette version en Français.

Cette chanson signée Leonard Cohen n’a cessé d’inspirer des interprétations diverses depuis sa création. Enregistrée en 1984 dans l’album « Various Positions » , Hallelujah ne connaît pas un succès immédiat.C’est notamment la reprise bouleversante de Jeff Buckley en 1994 qui va relancer l’intérêt pour ce titre. Le texte de la chanson « adopte de multiples points de vue et reflète le pouvoir de la parole et du Verbe »  » analyse Sylvie Simmons, auteure d’une biographie de référence de Leonard Cohen (I’m your man, L’échappée, 2018) qui avait confié à la journaliste d’origine britannique que c’était une « bonne chanson mais que trop de gens la chantent« . Deux versions finales de la chanson avaient d’ailleurs été écrites, l’une pessimiste, l’autre plus volontaire. Leonard Cohen lui-même avait indiqué que le refrain donnait la clé du texte: « Il y a des moments disait-il où vous ouvrez votre bouche et vos bras et dites simplement ‘Hallelujah« .

La fascination pour Leonard Cohen et cette chanson n’a cessé depuis sa création. La chanson culte est devenu une sorte de monument à revisiter. En voici une nouvelle évidence. Le débat se poursuit, initié à notre demande par un très bon connaisseur de l’oeuvre de Leonard Cohen, le journaliste Guillaume Goubert. Complété par le récit de Gaëtan de Courrèges qui avait eu le projet d’adapter le titre. Sans pouvoir aboutir totalement. Merci à eux deux.

Au coeur d’un monument, quel autre monument chanter?

Dans la splendeur de Notre-Dame de Paris toute en blancheur, Vianney seul avec sa Telecaster semble improviser. Puis on entend s’élever ces notes auxquelles Jeff Buckley a donné une célébrité planétaire : le début de l’Hallelujah de Leonard Cohen. Vianney sourit, nous aussi.

Hélas, le plaisir s’évanouit lorsque le jeune homme commence à chanter. Le texte en Français – dont il est l’auteur – n’a rien à voir avec celui du chanteur et poète canadien. Il s’agit d’une ode à « une dame » dont les paroles, de manière assez subliminales, rendent hommage (un peu) au monument et (beaucoup) à la mère du Christ.

On a vu bien des adaptations de chanson dont le contenu n’avait pas grand chose avec l’original. Dans le cas qui nous occupe, il est plus difficile de l’accepter. Car le texte de Leonard Cohen a une dimension qui touche au sacré et sa référence explicite à David et Bethsabée l’inscrit clairement du côté de l’ancien Testament. Le transposer dans une spiritualité parente mais distincte est pour le moins embarrassant.

Pour la défense de Vianney, il faut dire que la chanson de Leonard Cohen est fort difficile à adapter en Français et qu’elle a une dimension très charnelle qui n’aurait sans doute pas été convenable en ces circonstances. Mais cela aurait justement dû conduire à un autre choix musical. 

En ne résistant pas à la tentation de se servir de l’immense notoriété de la chanson originale, Vianney fait penser à un voyageur qui s’installe en première classe avec un billet de seconde. Leonard Cohen a lui-même dit un jour, avec son humour impassible : « Je pense que c’est une bonne chanson, mais trop de gens la chantent. »

Guillaume Goubert, journaliste

Depuis bien longtemps déjà on baptise des airs populaires avec des paroles pieuses.

J’ai entendu pour la première fois cet Hallélujah grâce à un ami qui me demandait de l’interpréter dans un disque enregistré par sa chorale. Mais les paroles qu’il avait écrites me paraissaient tellement fadasses que je lui avais proposé de les ré-écrire, ce qu’il avait accepté de bon cœur. Je lui avais alors demandé si la requête d’autorisation avec l’éditeur (Warner Bros) avait été effectuée, ce à quoi il m’avait répondu affirmativement. Et je l’ai enregistré avec bonheur, dans ce disque à compte d’auteur à la distribution confidentielle. 

Mais lorsque j’ai voulu reprendre le chant dans mon CD « Entre les ombres et la lumière », Warner m’a intimé l’ordre de n’en rien faire sous peine des plus graves ennuis. L’orchestre était déjà enregistré… J’ai alors composé une mélodie un peu différente sur les mêmes accords… ce qui ne trompe personne. À tout péché miséricorde. 

Entretemps le chant de Cohen avait pris du galon. Dans le film Shrek d’abord (que venait-il faire dans cette galère ?). Par Jeff Buckley ensuite, etc… etc…

Pourquoi cet engouement ? D’abord parce que la mélodie est bien troussée, jouant avec subtilité du mineur et du majeur. Peut-être aussi grâce à l’ambiguïté du religieux et du profane. Car le démarrage en allusion à David musicien jouant de la quarte et de la quinte, du mineur et du majeur liturgiques, débouche finalement sur son aventure coupable avec Bethsabée. On utilise astucieusement la Bible dans un scénario où l’intrigue amoureuse est plus mise en valeur que le message psalmiste. Pas très féministe non plus, sous ses airs de ballade romantique : l’allusion (« she cut your hair ») renvoie clairement à Dalila castrant symboliquement Samson. 

Alors, faut-il jeter ce Hallulujah à la géhenne ? Ne jouons pas les prudes. Depuis bien longtemps déjà on baptise des airs populaires avec des paroles pieuses. Je crois me souvenir que Roland de Lassus avait composé une messe sur l’air de « Robin, tu m’as toute mouillée »; et, sans aller aussi loin, le Père Louis-Marie Grignion de Montfort (fondateur de deux congrégations religieuses) ne se gênait pas pour coller des paroles dévotes sur des airs populaires. Et les « pinailleurs », qui s’en offusquent dans un premier temps, finissent par s’y résoudre parce que « ça marche » !

En ce sens, le fait que Jean-Michel di Falco et maintenant Vianney aient transformée cette histoire érotico-biblique en cantique m’apparaît dans l’ordre des choses… et c’est plutôt bien fait, ce qui ne gâche rien. Même si je suis quelque peu jaloux qu’ils aient eu le droit de le faire et moi non…

Gaëtan de Courrèges. Auteur, compositeur, interprète.

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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  1. Bonjour, Je suis comédien et je joue en ce moment un seul en scène qui relate mon parcours de chrétien…

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