L’invité du blog: le P.Yann Vagneux, prêtre des Missions étrangères de Paris vivant en Inde. Chroniqueur à La Croix, auteur.
La récente chronique dans La Croix, La musique, chemin vers l’Absolu.
D’une famille savoyarde, Yann Vagneux est né en 1976 à Lorient où son père est militaire. Il grandit en Bretagne. C‘est à l’âge de 21 ans que celui qui aspirait à entrer dans l’ordre des Chartreux découvre l’Inde. A Madras dans le sud-est de l’Inde où il fonde une petite communauté pour l’œuvre Points-Cœur et côtoie le jésuite Pierre Ceyrac. Il découvre l’œuvre de Jules Monchanin, prêtre lyonnais qui fonda avec le Bénédictin Henri Le Saux l’ashram du Shantivanam, lieu pionnier de la rencontre entre le christianisme et l’hindouisme. Avant de s’engager aux Missions Étrangères de Paris (Mep) , Yann Vagneux part entre 2000 et 2002 pour deux ans comme volontaire dans les quartiers populaires de Sante Fe, en Argentine où il est marqué par la personnalité et la pastorale de Mgr Bergoglio, futur Pape François. Il en a tiré le récit « Chemin de croix argentin dans les barrios du pape François », Éd. Brumerge, 110 p., 12 €.
Envoyé en Inde par les Mep il s’installe en 2012 à Bénarès, ville aux 8 religions présentes et où il anime, notamment, un centre de dialogue inter religieux. Il y rencontre brahmanes et soufis (Bénarès compte 35 % de musulmans). L’été il réside aussi à Katmandou au Népal pour la même mission de dialogue. Il a écrit plusieurs essais et témoignages dont « Prêtre à Bénarès », (aux éditions Lessius). Le passionné de musiques (il jouait sur l’orgue de sa paroisse durant jeunesse), il a consacré une de ses récentes chroniques dans La Croix à la musique comme chemin vers l’Absolu.
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–Selon vous, Dieu aime-t-il la musique ?
– Yann Vagneux: Sans aucun doute ! car tout ce qui dévoile l’immense beauté « si ancienne et si nouvelle » (Augustin) conduit directement à Lui.
– Au paradis quelles musiques y entend-on ?
Si le Paradis est la plénitude du monde transfiguré – ce que l’abbé Monchanin appelait le Plérôme – alors on doit y entendre la symphonie la plus catholique qu’il soit, composée de toutes les musiques qui sont montées au cœur de l’humanité, partout dans le monde depuis le premier jour de la création.
–Quelles sont les musiques qui, selon vous, invitent à la prière ?
Je dirais évidemment toutes les musiques sacrées que les religions ont suscitées… mais pas uniquement ! L’Occident – même détourné du Mystère de Dieu – a produit de somptueuses compositions tels l’Adagietto de la 5ème de Malher qui me fait toujours monter les larmes aux yeux. En 2015, je l’ai entendu au Philharmonique de New York sous la direction de Gustavo Dudamel. Inoubliable !
Mais l’Inde m’a appris que la musique, bien plus qu’une partition figée, est la rencontre d’un interprète et de son auditoire qui doivent être pur accueil et pure transparence à la beauté qui se donne dans la musique. C’est finalement une expérience de prière et pour cette raison, « Allah Akbar », l’adhan chanté par le muezzin aux aurores m’a si souvent remué au plus profond : oui, « Allah est grand » ! Et je comprends que l’on puisse embrasser la foi de l’Islam rien qu’à l’audition de l’appel à la prière d’un muezzin.
–Si la prière était une chanson, une musique, laquelle choisiriez-vous ?
Chaque prière comme chaque personne est unique ! Mais peut-être ma prière est-elle aussi le fruit de toutes les musiques que j’ai entendues à travers le monde… Alors, je laisse le Bon Dieu se pencher sur mon cœur et écouter…
– Qu’aimeriez- vous « chanter » à Dieu en le rencontrant ?
« Resurrexi et adhuc tecum sum », l’émouvant introit grégorien de la messe du jour de Pâques. La liturgie met sur les lèvres de Jésus ce verset du Psaume 138 – sa prière de Fils ressuscité qui est à jamais avec le Père. J’aimerais que ce soit aussi ma prière en arrivant sur l’autre rive par-delà la mort.
– Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous ?
Question sans réponse définitive car chaque année, chaque rencontre, chaque peuple découvert m’apporte son lot de musiques et d’émotions nouvelles. En ce sens, je pourrais dérouler le fil de mon existence en ne parlant que des musiques qui m’ont accompagné d’année en année. « La mort d’Isolde » dans Tristan und Isolde, l’opéra de Wagner qui a hanté mon adolescence. Le quatuor pour la fin du temps de Messiaen avec en particulier les deux grandes louanges à l’éternité et l’immortalité de Jésus qui accompagnaient mes années de séminaire avec le « Cantique spirituel » de Jean de la Croix interprété par Pierre Eliane – je me revois encore l’écouter dans la nuit, penché à ma fenêtre du Séminaire des Carmes avec la dernière cigarette de la journée.
Puis l’Inde est venue, emportant au loin les musiques d’Occident pour m’entraîner dans un nouveau monde qui a porté à l’incandescence l’expérience esthétique de la musique. Chaque année à Bénarès, nous guettons la venue des plus grands interprètes. Une année, ce fut Kishori Amonkar (1932-2017) avec une voix d’artiste de près de 80 ans qui était pure emprise de l’Absolu. Elle nous a tous transportés…
– La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce ?
Tout récemment, j’ai découvert « Soul of my Saviour », la version anglaise de l’« Anima Christi », contenue dans l’Hymnal de l’Église anglicane. Je l’ai écoutée en boucle pendant plusieurs jours à Bénarès tant j’ai trouvé que ce chant évoquait si puissamment le mystère eucharistique. Dans la paroisse de Manhattan où j’ai commencé à être prêtre, nous chantions les hymnes de l’Hymnal anglican. Ils sont d’une puissance rare, patinés par des générations de croyants qui les ont chantés et en eux ont été introduits à la foi et à la prière chrétienne. Je regrette que les cantiques de l’Église catholique – qui ne cessent de changer avec les modes et les communautés – ne soient pas à l’altitude musicale et spirituelle des vieux cantiques anglicans.
–Que chantent les anges musiciens ?
Soit la symphonie infiniment catholique que j’évoquais plus haut et qui est peut-être « le cantique du huitième jour » dont parlait saint Augustin dans son commentaire des Psaumes… ou soit la « voix de fin silence » par laquelle Dieu s’est manifesté à Elie au sortir de sa grotte de l’Horeb – ce silence primordial auquel conduit toute vraie musique.
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Bio express
1976. Naissance à Lorient (Morbihan).
1997-1999. Première découverte de l’Inde en compagnie du jésuite Pierre Ceyrac à Madras (Chennai).
2002. Entrée aux Missions étrangères de Paris (Mep).
2008. Ordination sacerdotale à Chambéry et consécration à vie pour l’Inde.
2011. Thèse de doctorat sur la théologie trinitaire du père Jules Monchanin à l’Université grégorienne de Rome (publiée sous le titre Co-esse, DDB, 2015).
2012. Installation à Bénarès.
2015. Publication de Chemin de croix argentin dans les barrios du pape François (Éd. Brumerge, Grenoble).
2018. Publication de Prêtre à Bénarès (Éd. Lessius)
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