Juliette Gréco. « Dieu le Père, ça ne marche pas. Moi, j’aime la Mère et le Fils, Marie et Jésus. »

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Juliette Gréco est décédé ce 23 septembre 2020à l’âge de 93 ans.

(Voir La Croix)

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En 2009 elle évoquait pour La Croix ses choix artistiques et son approche de la foi.

« J’ai toujours chanté des auteurs jeunes ».

Par MIGLIORINI Robert, le 27/4/2009 à 12h00

Vous sortez un nouveau disque (« Je me souviens de tout ») avec treize titres. Comment choisissez-vous les textes qui seront mis en musique ?

JULIETTE GRÉCO : Je choisis ce qui me chante à l’oreille, à la tête, au corps et au cœur. Il faut que j’entende le texte, sinon je passe à un autre. Ce qui explique qu’il y a eu pas mal de recalés pour ce disque ! Cette méthode est infaillible, depuis toujours. Y compris avec les nouvelles générations d’auteurs et compositeurs : ou bien leur langage me va au cœur ou bien je n’ai pas envie de dire ce qu’ils ont écrit. Et alors, c’est une décision sans appel. Je ne leur donne aucune consigne. Je n’aime pas les donneurs de leçons. Je leur conseille seulement de savoir dire non. La suite viendra après, sans problème. J’ai toujours considéré qu’il fallait laisser toute leur liberté aux créateurs et aux musiciens d’exprimer mes envies. À moi, ensuite, de les adopter et de les défendre sur disque et sur scène. J’apprécie le portrait qu’ils ont fait de moi. Toutes ces chansons veulent me ressembler. Ce qu’ils croient que je suis. C’est beau, non ?

Dans ces nouvelles chansons, on ne parle plus de politique ou d’engagement, contrairement aux titres plus anciens ?

Ce qui compte, c’est la manière de dire les choses. Comme les auteurs Christophe Miossec ou Marie Nimier, par exemple. Ils savent être humains et sociaux, à la fois. Et puis la politique, je n’aime plus du tout ce mot. Parlez-moi plutôt de révolte, d’humanité, de générosité, d’humiliation ou de chômage.

Ces auteurs de la nouvelle génération, comme Olivia Ruiz, Abd Al Malik, confient leur appréhension quand ils vous livrent des textes. Juliette Gréco ferait-elle peur ?

Je les aime infiniment ces jeunes gens. Je peux comprendre qu’ils soient impressionnés de rejoindre des auteurs que je chante comme Brel, Ferré, Prévert ou Gainsbourg et que l’on puisse les comparer à ces anciens. Mais j’aime dire que j’ai toujours chanté des auteurs jeunes, à leur époque. J’ai vu débarquer Brel, quasi famélique alors que sa carrière n’avait pas l’audience qu’elle a eue par la suite. Je constate que les mots de la nouvelle promotion me vont bien. Olivia Ruiz (qui a écrit deux chansons) a estimé que je pouvais être cette femme qui ouvre la boîte aux souvenirs. Dans la vie, je ne suis pas encore celle-là. Je veux toujours tout recommencer ! À 82 ans, ce n’est pas plus facile que jadis. Je me heurte encore à l’incompréhension, au mépris, à la puissance de l’argent. Mais si l’on n’avance pas, y compris à mon âge, on recule. Pour ce disque, je ne savais absolument pas à quel résultat nous parviendrions. Eh bien, ils ont travaillé, les gamins ! Ils commencent à faire attention à ce qu’ils écrivent (rires). Ils se sont rendu compte que cela vaut la peine que l’on fasse des efforts pour une chanson.

Qu’est-ce qu’une bonne chanson pour Juliette Gréco ?

L’exercice est moins léger qu’on ne le croit. Je le comparerais à une pièce de théâtre, en quatre ou cinq actes. Et c’est en cela que cet art, né dans la rue, est difficile. Y compris pour des littéraires réputés que furent mes premiers auteurs, Sartre, Queneau ou Prévert. Ils avaient l’habitude de s’exprimer sur des centaines de pages. Avec une chanson, vous n’avez que trois minutes pour convaincre. Sans oublier que la chanson est un art populaire et révolutionnaire. Tout ce qui s’est passé d’important dans le monde a commencé par une chanson. Forte de cette conviction, j’ai essayé de chanter ce que je croyais être la vérité, l’amour, l’ironie et la sensualité. Ça fait une longue carrière quand même. Mais j’ai de moins en moins le temps de regarder en arrière.

Votre mari, le pianiste Gérard Jouannest (Décédé en 2018. NDLR) , et principal compositeur sur ce nouvel album, écrit dans son ouvrage de souvenirs qui vient de paraître (« De Brel à Gréco », chez Albin Michel) qu’il ne comprend pas votre façon de travailler, notamment en répétitions. Est-ce qu’il exagère ?

En fait, je travaille d’abord et je répète ensuite, s’il reste du temps. Je commence par apprendre les musiques. Ensuite je mets les mots dans ma tête. Et alors commence un long temps de maturation. Je cherche et je cherche. Actuellement, je suis passée à une autre phase de mon travail. Tous les jours, je me demande quel sera l’ordre des chansons pour mon prochain spectacle parisien au Théâtre des Champs-Élysées. Je suis une passionnelle. Je n’arrive pas à trancher et à me séparer de certaines chansons. En ce moment, c’est donc la guerre entre moi… et moi.

Et Dieu dans tout ça, celui qui attend dans la chanson « J’arrive », de Jacques  Brel ?

Dieu le Père, ça ne marche pas. Moi, j’aime la Mère et le Fils, Marie et Jésus. Je n’ai pas rencontré beaucoup de prêtres et de religieux dans ma vie. En revanche, j’ai échangé avec des croyants, ceux qui n’avaient pas perdu la foi. Ils ont bien de la chance. Ce monde devient si étrange que la foi devient à la fois difficile et exotique. Mais j’exagère. J’ai beaucoup aidé le curé du village où je vis, dans l’Oise. C’était un vrai soldat du Christ, au sens noble. Quand j’y suis arrivé, il y a cinquante ans, il n’avait pas le sou. J’ai acheté des bancs pour l’église du village et j’ai participé à la réparation des cloches. J’habite dans son ancien presbytère. C’est là que le nouveau disque a été enregistré. Cette vielle maison respire, par certains côtés, la misère et le dévouement des curés de campagne de jadis et garde une jolie atmosphère.

Après soixante ans de carrière, quel bilan faites-vous ?

J’ai eu de grands bonheurs. J’ai donné des récitals dans les plus grands théâtres d’Europe et d’ailleurs. Je me souviens du cadeau du directeur de l’Opéra de Vienne. Il m’a remerciée, invitée à revenir si cela me chantait et m’a offert un morceau de la scène son opéra. Je l’ai toujours. Les moments difficiles, on préfère oublier. Le plus souvent, dans des endroits très chics, où le spectacle est dans la salle. Mais s’il faut parler de bilan, je reviens sur les années de Saint-Germain-des-Prés. Instants fondateurs, où les adultes tendaient la main aux enfants, les écoutaient. Aujourd’hui, on ne dit plus grand-chose aux enfants. Je continue d’ailleurs à parler à ces amis d’autrefois. Je leur confie ma tristesse qu’ils ne soient pas à mes côtés quand je rencontre le succès. Et quand ça va moins bien, je les laisse tranquilles. Ils ont déjà assez de problèmes comme cela.

Avez-vous encore un rêve ?

Je ne pense pas aux échéances fatales. Tant qu’un être est vivant, il a quelque chose à donner et à recevoir. J’aurais aimé chanter en Chine. Mais ça me dit moins maintenant. Pour des raisons diverses et variées (rires). Ah si ! Je vais, peut-être tourner de nouveau au cinéma. Mais tant que ce n’est pas signé, je n’en dis pas plus !

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Juliette Gréco a chanté le poète et jésuite Didier Rimaud (1922-2003).

« Faudrait aller plus loin » (Disque SM/BayardMusique).

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“L’abondante, et magistrale, discographie de Juliette Gréco, interprète aux choix assurés, comporte pour les années 68-69 une chanson d’un certain Didier Rimaud, “Faudrait” aller plus loin. François Rauber, ancien accompagnateur de Brel, orchestrateur, et qui avait signé avec Gréco un bail artistique fructueux, devait trouver les couleurs musicales à cette ballade bien dans la tradition française. « Qui ne sait que l’amour est difficile ? Il appelle chacun au-delà de lui-même, toujours plus loin », précise le commentaire de la chanson. Rauber et Didier Rimaud (1922-2003) étaient devenus amis. Le jésuite Didier Rimaud est connu pour ses compositions à usage liturgique.

Pierre Faure, jésuite, retrace pour le blog la genèse de cet enregistrement :

C’est le Père Bernard Geoffroy, (jésuite, fondateur et directeur des Petits Chanteurs de Provence au Collège jésuite de Marseille, initiateur de la collection des recueils de nouveaux chants liturgiques en  français, « Gloire au Seigneur », éd. du Seuil) qui a cherché à contacter Juliette Gréco (années cinquante je pense) pour lui proposer d’enregistrer cette chanson de D. Rimaud (paroles et musique). Il me semble aussi que ce fut possible par l’intermédiaire de Maurice Robreau fondateur du label Studio SM qui enregistrait les disques des Petits Chanteurs de Provence et vivait à Paris. Car la première édition de cette chanson par Juliette Gréco était (je crois) sur un disque des Petits Chanteurs de Provence. Donc c’est une initiative de Geoffroy et pas de Didier Rimaud en direct… En tous cas Geoffroy a aimé ce texte de Didier Rimaud. (ils vivaient dans la même communauté…) qui était encore surveillant des élèves au collège de Marseille et commençait juste à composer cette série de chansons dont on trouve maintenant le texte dans le volume Anges et Grilllons. Chansons et poèmes. I, Cerf, 2008.

Peu de gens ont eu l’occasion de le connaître comme auteur compositeur de chansons. Plusieurs textes ont été mis en musique dont “Quand nous décamperons” (par Rauber). Jo Akepsimas, dans le livret accompagnant la réédition de douze d’entre elles (disponible chez SM), en 2005, rappelle l’importance pour l’auteur de cantiques de ces chansons. « Nourri du répertoire des scouts de France, des chansons populaires, des négros spirituals, Rimaud a inventé un univers poétique original dans lequel il brode librement de merveilleuses variations mystiques autour de l’Évangile », souligne le compositeur qui a également collaboré avec celui qui avait participé à la traduction du Psautier. […]”.

« Faudrait aller au creux de chaque peine/
Faudrait aller plus loin que nous pleurons/
Nous goûterions alors

Plus que la soie, la laine/…Faudrait aller où les larmes s’en vont./

 

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Une réponse à “Juliette Gréco. « Dieu le Père, ça ne marche pas. Moi, j’aime la Mère et le Fils, Marie et Jésus. »”

  1. Avatar de babou
    babou

    Mon commentaire : Cette chanson de D.RIMAUD est une petite merveille, également interprétée par le regretté James OLLIVIER, malheureusement bien oublié.

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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