Père Philippe Hémon, Tamié, le chant des moines de Tibhirine, les trois César

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Emotion ce vendredi 25 février lors de la remise du César du meilleur film au très impressionnant « Des hommes et des dieux », honoré par deux autres César. La musique et les chants font partie intégrante du succès et du climat (15% des paroles) de cette oeuvre saluée par le public et la profession.  Henry Quinson le conseiller monastique du film, familier du répertoire lonastique contemporain, était à l’oeuvre avec le réalisateur pour le choix des hymnes et des psaumes de l’office que l’on écoute à l’écran (1).  Dans les coulisses,  les comédiens avaient travaillé le chant sous la direction d’un maître de choeur expérimenté, François Plogar, par ailleurs co-fondateur du Choeur grégorien de Paris.

A Tibhirine dans les années 1970 le fond du répertoire était celui de l’abbaye cistercienne de Tamié. Une longue collaboration s’était mise en place entre les deux communautés, deux des moines venaient de Tamié, notamment dans le domaine du chant monastique. Un disque « Le chant des frères », de Tamié à Tibhirine, enregistré par le choeur des moines de Tamié,  (Bayard-ADF-Studio SM) rendà son tour  hommage aujourd’hui aux moines assasssinés et à l’équipe du film de Xavier Beauvois. Le Père Philippe Hémon, maître de choeur de Tamié -et de Tibhirine- témoigne de ces années.
(1) La bande originale a paru chez Because/Warner.
–         Vous êtes maître de chœur de la communauté de l’abbaye de Notre-Dame de Tamié. Vous venez de publier un hommage aux frères de Tibhirine. Pouvez-vous rappeler pourquoi ?
– Père Philippe Hémon : Quand les acteurs et le metteur en scène du film «  des hommes et des dieux » sont venus à Tamié s’initier à la vie monastique contemporaine ils nous ont interrogé à propos du répertoire que nous chantions ici. C’est donc à partir d’une sélection de nos chants et la collaboration d’un maître de chant parisien qu’ils ont réalisé la bande-son du film. Il nous a paru alors intéressant de faire entendre également au public touché par le film la version « originale » de ces chants monastiques.
–         Vous deviez être présent sur place en 1996 lors du drame de l’enlèvement?
– PH: Lors de mon premier passage à Tibhirine pour l’ordination sacerdotale de frère Christophe, frère Christian m’avait demandé de faire quelque chose pour faciliter la prière et le chant de ses frères. Je m’y suis donc attelé en faisant des séjours au milieu d’eux et du 15 au 31 mars1996, je devais, en effet, leur remettre les livrets que j’avais confectionné pour la prière des heures… Un empêchement de dernière minute m’avait obligé à retarder mon voyage et frère Christian m’avait écrit sa déception qui tenait en un seul mot auquel je pense tous les jours car je l’ai reçu deux jours avant d’apprendre leur enlèvement : « Dommage ! »
Comment avez vous travaillé avec les moines de Tibhirine?
– PH: J’ai d’abord essayé de rencontrer chacun pour tenir compte de leurs souhaits et évaluer leurs possibilités vocales. Il faut reconnaître qu’elles n’étaient pas aussi heureusement réparties qu’on aurait pu le souhaiter !  Ce qui n’était pas sans effet sur l’ensemble…
Et puis il fallait tenir compte aussi du contexte de plus en plus oppressant qui pesait sur la vie de tous et de chacun. Pas seulement sur leur voix. Et de l’importance qu’avaient pour eux ces moments de prière partagée. C’étaient des moments de respiration, pour reprendre souffle dans le Souffle.
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–         Qu’est ce qui a guidé le choix des 22 titres de votre album « Le chant des frères » ?
– PH: Nous avons décliné deux séries de chants. La « suite des jours » qui reprend le quotidien des frères et où figurent l’essentiel des chants qui sont dans le film. Et la « suite des temps » qui resitue leur existence dans l’authentique célébration du mystère chrétien, de Noël à Pâques et au-delà.
–         Avez-vous été associés au choix des pièces qui constituent la bande originale du film de Xavier Beauvois, « des hommes et des dieux » ?
PH: Non. C’est leur conseiller monastique, Henry Quinson, qui a pratiqué ce répertoire au milieu de nous durant quatre ans et Xavier Beauvois lui-même qui ont opéré ce choix. Il est excellent. Nous y retrouvons notamment les grands textes liturgiques de notre ami poète jésuite, Didier Rimaud, et les merveilleuses musiques que le père Marcel Godard a écrites pour nous.
–         Comment avez-vous reçu le film lui-même  ainsi que l’interprétation chorale et musicale des comédiens ?
PH: Déjà la lecture du deuxième scénario m’avait fait ressentir la justesse du ton, mais sa mise en image restait pour moi problématique. Comment une vie aussi peu spectaculaire pouvait-elle se prêter à ce genre d’exercice. Je reste confondu et bouleversé de ce que j’ai découvert à Paris et puis avec mes frères de Tamié, grâce aux animateurs du cinéma d’Ugine, près de chez nous. C’est une fiction, la réalité historique est donc recomposée selon les règles de l’art cinématographique. La performance vocale des acteurs dépasse évidemment celle des frères… Et pourtant, pendant près de deux heures, j’ai eu l’impression d’être retourné là-bas, au milieu d’eux, et je me demande encore comment cela a-t-il été possible. Je n’ai jamais rencontré Xavier Beauvois, mais désormais il est pour moi indissociable de la mémoire des 7 frères.
–         Quels échos recevez-vous de la part du public concernant ces chants tirés  du répertoire monastique contemporain ?
– PH:   Difficile à dire… Mais nous avons vu participer à nos offices un public nouveau qui n’était à l’évidence pas familier de cet univers et en quête d’un contact, d’une parole du goût des autres.
A votre connaissance le destin des moines de Tibhirine inspire-t-il des compositeurs et auteurs actuellement ?
– PH: Il y a eu pas mal de mises en œuvre musicales (1)ou théâtrales autour de ce destin, et nous avons été pas mal sollicités par toute sorte de médias. Mais nous n’avons pas forcément répondu à ces sollicitations donc je ne peux pas en dire grand’chose. Mais il faut quand même le mentionner.
le site: http://www.abbaye-tamie.com/
(1). La revue Signes Musiques (Bayard) vient de publier dans son numéro de mars-avril (122) deux chants méditatifs dont les textes font écho aux poèmes de frère Christophe et du destin des moines. « Aimer jusqu’au bout du feu » (texte de Claude Bernard et musique de Michel Wackenheim) et « O vous qui donnez-tout » (texte de soeur Marie-Benoît et musique de Michel Wackenheim). Partitions (ADF éditions) et enregistrements disponibles sur le site http://www.chantonseneglise.fr/
Un extrait du texte de Claude Bernard (écrit en octobre 2010), mis en musique par Michel Wackenheim et créé dans la cathédrale de Strasbourg:
« Aimer jusqu’au bout du feu,
S’offrir au vent qui nous entraîne,
Aimer dans le cœur de Dieu,
Donner sa vie pour ceux qu’on aime,
Brûler d’amour avec le Maître ! »

2 réponses à “Père Philippe Hémon, Tamié, le chant des moines de Tibhirine, les trois César”

  1. Avatar de ROSEW
    ROSEW

    Enfin, une consécration officielle à un film sur des religieux chrétiens. Le christianisme aurait-il retrouvé grâce aux yeux des laïques ? Durant des années, il a été mis au banc des « infréquentables » et, aujourd’hui, il n’est plus tabou de se dire chrétien. Le préjugé a perduré longtemps.
    Mais, le christianisme n’est-il pas devenu à son insu une forteresse contre la peur d’une islamisation rampante de notre vieille europe ?
    Mais, c’est certainement grâce au travail des journalistes et animateurs, radio, TV, journaux chrétiens… qui ont su parler vrai, et faire comprendre le message de foi des évangiles. Un grand merci à eux tous.

  2. Avatar de Bouteiller
    Bouteiller

    Si le film consacré aux moines assassinés déclenche un grand succès auprès du public actuel , ce n’est pas sans raison.iL suscite chez croyants et incroyants spectateurs une émotion telle qu’il bouleverse leur coeur , en attente.
    Des hommes « amoureux » de DIEU par leurs prières,des hommes sereins devant le drame de leur mort qu’ils pressentent, des hommes fraternels avec tous ceux qui ont besoin d’aide…ces hommes font non seulement l’admiration mais ils entrainent dans leur sillage tous ceux qui veulent donner un sens à leur propre existence et connaitre la paix sur terre.

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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