P.Christian DELORME, du « Aum » aux Spirituals. En liberté.

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 L’invité du blog: Le Père Christian DELORME.
« La marche », la véritable histoire qui inspiré le film. Dans un ouvrage paru en octobre 2013 (éditions Bayard, 214 p., 16 €), le P.Christian Delorme retrace son parcours à l’occasion de la sortie du film de Nabil Ben Yadir, sur les écrans depuis le 27 novembre.  Prêtre du diocèse de Lyon, membre de l’Institut des prêtres du Prado, il revient sur quarante années de compagnonnage avec des familles originaires d’Afrique du Nord. Une « empathie », selon ses mots, née au coeur du quartier de la Guillotière à Lyon, où il est né en 1950 et où a grandi. Inspiré depuis toujours par la figure spirituelle du pasteur Martin Luther King, il pu le rencontrer à Lyon le 29 mars 1966. Dans les semaines qui suivirent le jeune homme lui écrivit et il reçu une réponse! Le combat non violent du pasteur baptiste d’Atlanta, prix Nobel de la paix en 1964, est venu combler son attente et inspiré son engagement. « J’ai trouvé un chemin de vie » écrit l’actuel curé des paroisses d’Oullins et Pierre-Bénite. Le P.Delorme aime traduire à l’occasion son esprit de liberté et son sens de la rencontre d’un large public. Dernièrement il a incarné son propre rôle dans deux épisodes de la série à succès « Plus belle la vie », diffusés sur France 3. « Quand on tient des discours fraternels, on a du mal à toucher les milieux populaires. « Plus belle la vie peut nous y aider » expliquait le P.Delorme au quotidien régional « Le Progrès ».
2013 marque un anniversaire. En octobre 1983 des jeunes issus essentiellement de la cité des Minguettes, à Lyon, organisèrent la Marche contre le racisme et pour l’égalité, dite la marche des beurs, de Marseille à Paris où ils arrivèrent en décembre. Avec à leurs côtés, le P.Christian Delorme, ordonné en 1978. Trente après ce film évoque ce moment fondateur. « Trente ans représentent le temps nécessaire à l’émergence d’une nouvelle génération de responsables, et que la question se pose plus naturellement: qu’avons-nous fait de ces trente ans?  » explique  aujourd’hui le P.Christain Delorme.  « We shall overcome some day! », « Un jour nous y parviendrons! ». Tel est mon credo dont je trouve la source dans les Béatitudes du Christ Jésus et dans le « Magnificat » de Marie se mère, » conclut-il en 2013. Retour sur les grandes musiques qui accompagnent celui qui a été l’un des initiateurs de la Marche et qui continue à oeuvrer, avec d’autres, à la défense des minorités et au dialogue, notamment, entre chrétiens et musulmans.
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– Quelles sont les musiques, anciennes ou récentes, évoquant Dieu que vous avez entendues et appréciées?
P.  Christian DELORME: Depuis mon adolescence, les Negro Spirituals constituent la musique et les chants qui suscitent en moi le plus d’émotion. Même quand je ne saisis pas tout de la signification de leurs paroles, j’ai la sensation qu’ils me parlent de moi et qu’ils expriment un vécu qui est aussi le mien. Ce sont des cris de souffrance et d’espoir adressés à Dieu, la transcription de la peine et de la révolte des hommes noirs qui ne doutent pas, cependant, de leur libération à venir. On pourra être surpris d’apprendre que j’y suis beaucoup plus sensible – textes compris –  qu’aux psaumes bibliques dont je n’aime pas les mélodies très asexuées que nous employons. Autrement, je suis toujours très touché par les musiques d’ordre mystique qui sont issues du soufisme – le courant mystique de l’islam – ou de l’hindouisme dévotionnel. J’aime tout particulièrement la musique indo-pakistanaise appelée « qawwali » et la musique indienne nommée « bhajan ». Ce sont des musiques qui cherchent à exprimer l’élan de l’âme vers Dieu, quel que soit le nom que l’on utilise pour désigner celui-ci. Je ne comprends rien des paroles chantées, mais les mélodies me bouleversent. Il y a, aussi, des instruments propres à ces musiques mystiques: le « tabla » ( sorte de petit tambour ) et l’harmonium indien ( un petit harmonium à soufflet posé à même le sol ) pour la musique indienne, ou encore le « ney » ( flûte oblique originaire d’Asie centrale ) dont l’utilisation résonne très fortement en moi.
– Selon vous, Dieu aime-t-il la musique?
Il faut l’espérer! Dès lors que la majorité des croyants de toutes les religions du monde utilisent la musique — chants et instruments — pour s’adresser à lui, le louer ou l’implorer. Dans beaucoup de traditions religieuses, Dieu est associé à la parole, laquelle n’est pas loin de la musique puisqu’il s’agit dans tous les cas d’émission de sons. « Au commencement était le Verbe » nous dit l’Evangile de Jean. Dans la pensée hindouiste, tout commence par une vibration divine, un son original représenté par la syllabe « aum ». De ce point-de-vue, on pourra dire que Dieu lui-même est Musique, en tout cas Vibration vitale.
– Au paradis, quelles musiques y entend-on?
Des chants d’amour, certainement, que les assemblées de ressuscités adresseront à Dieu en joignant leurs voix à celles des créatures angéliques. Mais aussi des chants d’amour et de joie que nous nous échangerons. J’imagine le paradis comme une sorte de « Woodstock »  éternel!
– Quelles sont les musiques qui, selon vous, invitent à la prière?
Si je définis la prière comme étant d’abord un coeur à coeur avec Dieu, alors je privilègerai des musiques méditatives, voire répétitives. J’ai évoqué les musiques mystiques ou dévotionnelles indiennes telles que le bhajan. Leurs chants comportent souvent des « mantras », ces formules sonores et rythmées que l’on répète longuement et dont les sons s’avèrent bénéfiques pour le corps et l’esprit. Les chants de la communauté oecuménique de Taizé s’apparentent un peu à cela.: « Laudate Dominum », ou « Jésus le Christ, lumière intérieure », ou encore «  Dans nos obscurités »…
– Que chantent les anges musiciens?
L’Evangile nous donne à connaître ce qu’ils chantaient au moment de la Nativité du Christ: « Gloire à Dieu et paix sur la terre aux hommes qu’il aime! ». De même, il nous font entendre la salutation de l’ange Gabriel à la jeune Marie de Nazareth. Nous en avons tiré des « Ave Maria » que je n’aime généralement pas trop car ils me paraissent trop pompeux par rapport à l’intimité de la rencontre entre le messager divin et la jeune vierge.
– Si la prière était une chanson, une musique, laquelle choisiriez-vous?
Sans aucun doute la « Prière des frères moraves ». Ce chant à quatre voix mixtes du XVI ème siècle m’émeut toujours aux larmes à chaque fois que je l’entends. Des amis choristes l’ont chanté il y quelques mois aux funérailles de ma mère. J’aimerais bien qu’il soit chanté aussi aux miennes, quand bien même je ne suis pas certain que je serai alors en mesure de l’entendre.
– Qu’aimeriez-vous « chanter » à Dieu en le rencontrant?
Je pense que, me trouvant en face de lui, je resterai plutôt sans voix. Si je parviens à émettre quelques sons, je murmurai la « Prière des frères moraves »:  « Ô mon Dieu prends pitié  de nous : nous tombons à genoux! ».
– Quelles sont, dans votre discothèque personnelle, les musiques, les chansons qui sont vos préférées? Les dix musiques et chansons à emporter sur une île déserte?
Mes choix sont assez hétéroclites, mais les musiques et chants que j’affectionne ont néanmoins en commun de traduire de manière assez forte les souffrances et les espérances des hommes. En premier lieu je mettrai, évidemment, des Negro Spirituals, en particulier « Nobody knows the trouble I’ve seen » et « Swing low, sweet chariot ». J’ai découvert ces chants afro-américains à travers les 45 tours de John William, et je garde de l’affection pour cet interprète. Ensuite, je prendrai le « Boléro » de Maurice Ravel, car celui-ci nous entraine dans une danse qui semble ne jamais finir: la danse de la vie jusqu’à la vie éternelle. J’y joindrai la « Symphonie du Nouveau Monde » de Antonin Dvorak, cette musique à la fois nostalgique et festive dont le compositeur tchèque a trouvé l’inspiration chez les Indiens d’Amérique. J’aime aussi beaucoup les « Carmina Burana », de Carl Orff, ces chants profanes hérités du Moyen-Age qui ont néanmoins une dimension sacrée et dont l’orchestration intervient immédiatement sur notre état psychique, nous arrachant à ce qui nous accable. J’y ajouterai la « Passion selon saint Matthieu » de Jean-Sébastien Bach, dont j’aime la dramaturgie où alternent peines et joies, passion et compassion grâce aux allers et venues entre chant soliste et épisodes chorals puissants et expressifs. Dans ma sacoche ou ma valise, se trouveront aussi, on le devine, des disques de musique soufie et de musique dévotionnelle hindouiste. Et s’il y a encore un peu de place, je mettrai les chansons de Jacques Brel.
– Quel est le refrain qui vous a le plus marqué?
« Here’s to you Nicola and Bart. Rest forever here in our hearts. The last and final moment is yours. That agnony is your triumph ». J’ai chanté dès 1971 cette chanson de Joan Baez qui est venue à Lyon à cette époque. Je l’ai rechantée mille fois depuis, et de nouveau à l’occasion d’un retour dans la capitale des Gaules de la chanteuse américaine il y a quelques années. Ce chant en hommage à deux anarchistes italiens exécutés dans le cadre d’un scandale judiciaire, dit à la fois la mort et la résurrection. C’est un chant à thème christique.
– Quels sont les grands auteurs, compositeurs ou interprètes qui comptent pour vous?
Tous ceux que j’ai déjà cités précédemment. Mais, de manière générale, j’ai du plaisir à écouter Jean-Sébastien Bach, Ludwig van Beethoven, Claude Debussy… Je crois que tous les compositeurs et interprètes qui me « parlent » sont ceux dont l’oeuvre est habitée par un souffle de révolte et de liberté.
– La dernière fois où vous avez été ému en écoutant une musique, une chanson, laquelle était-ce?
«  Je crois que mon Sauveur est vivant », du compositeur lyonnais Marcel Godard, chanté lors des funérailles d’un ami prêtre. C’est une pièce musicale très sobre et néanmoins magnifique, tant au plan des paroles qu’à celui de la musique: « Je crois que mon Sauveur est vivant et qu’au dernier jour je surgirai de la terre. Le jour viendra où dans ma propre chair, je verrai Dieu mon Rédempteur ». Toute l’espérance chrétienne est ici condensée!
– Si Dieu était une chanson, une musique, laquelle serait-ce?
Parce que la Bible me dit que c’est pas la parole, donc par le son, que Dieu a créé l’univers, je suis tenté de penser que les hindous ont raison quand ils imaginent un son primordial identifiable à Dieu: le « aum » que j’ai déjà évoqué.
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A lire
Dans LA CROIX
LE FILM
« La marche », les pas de la mémoire
Trente ans après, ce film revient sur la marche contre le racisme qui, en 1983, permit à une génération de jeunes issus de l’immigration de s’affirmer comme citoyens.
Paru le 27 novembre 2013.
LA MARCHE ** de Nabil Ben Yadir
film français, 2 heures
« Rengainez, la chasse est fermée ! » C’est avec ce slogan et au milieu d’une foule de cent mille personnes que les principaux acteurs de la Marche pour l’égalité et contre le racisme entrèrent à Paris, il y a tout juste trente ans. Partis cinquante jours plus tôt de Marseille, une poignée de marcheurs permanents, essentiellement issus de l’immigration et venus du quartier lyonnais des Minguettes (mais pas seulement), s’étaient ainsi élevés contre les crimes racistes perpétrés en France dans une relative impunité.
Soutenus par deux religieux engagés, le P. Christian Delorme et le pasteur Jean Costil, responsables régionaux de la Cimade (service œcuménique d’entraide), ces jeunes volontaires, souvent fils et filles d’immigrés maghrébins de la première génération, affirmèrent, à travers ce geste pacifique, leur qualité de citoyens de plein droit.
De l’indifférence à l’Elysée
Inspirée des principes de la non-violence prônés par Gandhi (le film du même nom, de Richard Attenborough, était sorti en mars de la même année) et par la Marche pour les droits civiques de Martin Luther King (1963), l’initiative française débuta dans l’indifférence générale et s’acheva à l’Élysée, où un certain nombre de figures du mouvement furent reçues par le président de la République, François Mitterrand.
Porté par des visages plus ou moins connus (Olivier Gourmet dans le rôle du prêtre, rebaptisé Dubois, Tewfik Jallab, Vincent Rottiers, Hasfia Herzi, Nader Boussandel, Charlotte Le Bon, Philippe Nahon en grognard au grand cœur et Jamel Debbouze en compagnon peu fiable mais en quête de rachat…), La Marche se découvre comme un road-movie de groupe, dans lequel le spectateur accompagne ces jeunes partis à la rencontre d’une France… qui ne les connaissait pas.
Un acte  fondateur
Soyons honnêtes : ce n’est pas la mise en scène assez plate ni le jeu des acteurs – au service de l’ensemble – qui fait l’intérêt de ce film, mais son sujet même, élan collectif ponctué de rejets, méfiances, menaces, mésententes parfois, mais aussi de rencontres magnifiques, de solidarités inattendues et de vraies prises de conscience.
Fatima Mehallel, Farid Arar, Djamel Atallah, Toumi Djaidja, Farid Lazhar, Patrick Henry… L’Histoire n’a pas forcément retenu le nom des dix-sept pionniers qui s’élancèrent sur les routes, mais, en dépit des commentaires divergents sur « l’après » de la marche, ce qu’ils posèrent fut un acte fondateur. La principale vertu du film du cinéaste bruxellois Nabil Ben Yadir, qui signe ici son second long métrage, est de le rappeler avec force, notamment en direction des jeunes générations.
ARNAUD SCHWARTZ
Sur le site de Pèlerin http://www.pelerin.com/Compostelle-et-autres-chemins/La-marche-le-film-evenement-contre-le-racisme/La-marche-une-histoire-vraie-racontee-dans-un-livre?&xtmc=la_marche_delorme&xtcr=1
La marche, sur le site de la revue Projet: http://www.revue-projet.com/comptes-rendus/2013-12-webdoc-la-marche-d-apres-30-ans-de-combat-pour-l-egalite/
 

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À propos de ce blog

  • Dans un pays où, dit-on, tout ou presque, finit en chansons, d’innombrables voix montent du chœur des humains jusqu’à Dieu. Au gré de voies parfois étonnantes. La chanson n’a pas seulement vocation au divertissement et aux standards formatés. Elle ouvre à bien plus grand qu’elle, évoquant les musiques du Paradis…

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À propos de l’auteur

  • Robert Migliorini, religieux assomptionniste, journaliste, a tenu au sein du service culture de La Croix la rubrique musiques actuelles, de 1999 à 2009, et a assuré durant dix ans, en alternance, la rubrique quotidienne Fidèle au poste.

    Musicien, il a contribué au numéro de juillet 2009 (223) de la revue trimestrielle Christus consacré à la question de la musique, « une voie spirituelle ? ».

    Prépare un essai consacré à la chanson religieuse. Membre du jury des premiers Angels Music Awards 2015.

    Le dimanche à 8h03 sur le réseau RCF (Radios chrétiennes francophones) il programme l’émission Un air qui me rappelle.

    Robert Migliorini est également chroniqueur musical pour le mensuel Panorama.

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