Guy Béart est décédé le 16 septembre 2015 à l’âge de 85 ans. De nombreux hommages ont évoqué la place qu’il tient dans le coeur du public et dans le grand livre de la chanson française. En parlant de l’autre grand B de la chanson (avec Brassens). Guy Béart avait répondu aux questions du blog musical de LA CROIX en 2010 à l’occasion de la sortie de son dernier album studio « Le meilleur des choses ».
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Il faut le dire tout net : l’album que nous a offert cet automne Guy Béart est épatant (Le meilleur des choses, un CD Espace/ Sony Music). Orfèvre à sa façon le chanteur, 80 ans, est sorti de quinze ans de silence médiatique pour livrer sa part de sagesse et d’humour et rappeler que son regard est toujours aussi perçant. Sur ce temps qui passe, ses tourments, ses télés barbaresques ou ses amours nécessaires. Guy Béart infatigable observateur partage une fois encore en 12 titres son souci de donner d’autres couleurs au temps que celles grises ou sombres de nos horizons branchés sur le court terme. Et çà marche, aux accents acoustiques des guitares qui l’accompagnent. Et comme un plaisir n’arrive jamais seul un best of de 3 Cd accompagne le nouveau venu. Soixante chansons à réécouter ou à découvrir. C’est de nouveau le grand ChamBEARTdement, libre et enjoué à la fois.
Guy Béart est sur France 2 ce samedi 18 décembre dans l’émission « On n’est pas couché » ( à partir de 22h50)
– Vous vous adressez à Dieu, à l’occasion, dans vos chansons. Lesquelles retenez-vous ?
– Guy Béart: l y a d’abord « Hôtel Dieu » qui fut écrite pour évoquer le décès de ma mère en 1954. Nous étions pudiques à l’époque sur ces sujets. La chanson n’a été enregistrée et diffusée qu’une dizaine d’années plus tard. Elle est entrée dans le répertoire et a été reprise depuis par d’autres artistes. Une version récente et réussie est celle d’Henri Tachan. Il y a encore d’autres de mes textes comme ce O Jéhovah (voir texte ci-dessous) ou encore un « Que diable Satan » qui devrait vous faire rire (voir texte ci-dessous).
– Dieu aime-t-il les chansons ?
– Beaucoup. C’est évident dès lors que l’on considère que la plupart des prières sont en fait des paroles et de la musique. Grâce à la musique les paroles restent ensuite dans les mémoires.
–Quelles musiques entend-t-on au paradis ?
– De la harpe, cet instrument pacifique. J’imagine qu’on n’y entend ni trompette ni batterie, aux accents plus militaires. Vous remarquerez que j’use rarement de ces instruments dans mes arrangements. Au paradis, j’imagine encore que l’on y joue de la guitare… acoustique.
– Que chanteraient les anges musiciens ?
– Ils parlent plutôt. Je suis un grand lecteur de la Bible (dans une édition de 1937). J’y trouve une source d’inspiration durable. Je n’ai pas retenu que l’on chantait au paradis. –
– Si la prière était une chanson, laquelle serait-ce ?
– O Jehovah (voir le texte ci-dessous). Comme la plupart de mes chansons ce texte est né d’un rêve. Je l’ai chanté sur scène mais le thème est moins porteur que d’autres pour le public de nos jours. Vous ne trouvez pas ?
– Que chanteriez-vous à Dieu en le rencontrant ?
– En face de Lui, je ne m’imagine pas oser lui parler ni lui chanter quelque chose. On doit rester sans voix. Et puis il est inutile de lui parler. Il sait tout ce qui se passe.
– – Et dans un deuxième temps ?
– -Rires…de Guy Béart.
– Que trouve-t-on dans votre discothèque personnelle ?
– Parmi les chansons des autres que j’aime évoquer, je citerais celle de Charles Trenet, Georges Brassens, Félix Leclerc ou Gilles Vigneault avec qui j’ai chanté en duo « Quand vous mourrez de nos amours ». Il y a encore ce classique de Raymond Levesque « Quand les hommes vivront d’amour ». Ce n’est pas l’amour à la façon de Jacques Brel, cet amour si conflictuel dans le quotidien. C’est celui qui conjuguerait amour et raison. Cette raison que j’imagine placée à la droite du Seigneur, l‘amour se tenant sur la gauche. Dans ma discothèque il y a encore du Alain Souchon. Tout ce qui a subi l’épreuve du temps.
– – Y-a-t-il une de vos chansons qui vous ait marqué durablement ?
– Beaucoup, comme vous l’imaginez. Laissez-moi réfléchir. (Après un bon moment), Je crois que c’est « L’espérance folle », qui parle de celle qui nous « console
De tomber du nid et qui, demain, prépare
Pour nos guitares d’autres harmonies. ».
– La dernière fois que vous avez été ému par une chanson ?
– « Hôtel Dieu » (voir texte ci-dessous). « Quand les hommes vivront d’amour », si désabusé et touchant à la fois. Il y a encore l’évocation de Che Guevara par Nathalie Cardone « Hasta Siempre », qui date de 1999.
– Et si Dieu était une chanson, laquelle serait-ce ?
– Les dix commandements, sans hésiter !
En cadeau pour les fidèles du blog « Au cabaret du Bon Dieu »
O JEHOVAH (Psaume 151)
Paroles et musique Guy Béart. Editions Espace (1986)
Mon Dieu, protège moi du beau
Quand il n’est que masque du diable
Eclaire-moi de ton flambeau
Insaisissable
O Jehovah.
Mon Dieu garde-moi des gentils
Ceux qui ne sont que tout sourires.
Leurs dents montrent leur appétit
Qui nous déchire
O Jehovah
Mon Dieu, mon Dieu
Ne l’oublie pas
Ce cailloux vieux
Que tu sauvas (bis)
Mon Dieu, confonds les religions,
Bureaucraties de ta croyance.
Qui ensanglantent nos régions
De leurs vengeances.
O Jehovah.
Mon Dieu, garde-moi de ces fous
Qui t’invoquent en simulacre.
Qui font de toi le dieu des loups
Et des massacres
O Jehovah.
Mon Dieu, mon Dieu
Ne l’oublie pas
Ce caillou vieux
Que tu sauvas (bis)
Mon Dieu, ne laisse pas Satan
Nous éprouver. Son règne dure.
Celui que Job connut au temps
De sa torture.
O Jehovah.
Mon Dieu, aveugle les idoles.
Dans leurs rouages, leurs images.
Qui nous séduisent, nous cajolent
Dans l’esclavage.
O Jehovah.
HOTEL-DIEU
Paroles et musiques Guy Béart. Editions Espace, (1967).
Pour une femme morte dans votre Hôpital
Je réclame Dieu votre grâce
SI votre paradis n’est pas ornemental
Gardez-lui sa petite place.
La voix au téléphone oubliait la pitié
Alors j’ai couru dans la ville
Elle ne bougeait plus déjà d’une moitié
L’autre est maintenant immobile.
Bien qu’elle fut noyée à-demi par la nuit
Sa parole était violence
Elle m’a dit : appelle ce docteur !Et lui
Il a fait venir l’ambulance.
O temps cent fois présent du progrès merveilleux
Quand la vie et la mort vont vite
Où va ce chariot qui court dans l’Hôtel-Dieu
L’hôtel où personne n’habite ?
D’une main qui pleurait de l’encre sur la mort
Il fallut remplir quelques fiches.
Moi je pris le métro, l’hôpital prit son corps
Ni lui ni elle n’étaient riches.
Je revins chaque fois dans les moments permis
J’apportais quelques friandises.
Elle me souriait un sourire à-demi
De l’eau tombait sur sa chemise.
Elle en bougeait plus, alors elle a pris froid
On avait ouvert la fenêtre.
Une infirmière neutre aux gestes maladroits
En son hôtel Dieu n’est pas maître.
La mère m’embrassa sur la main me bénit
Et moi je ne pouvais rien dire
En marmonnant alors, c’est fini c’est fini
Toujours dans un demi-sourire.
Cette femme a péché, cette femme a menti
Elle a pensé des choses vaines
Elle a couru, souffert, élevé deux petits
Si l’autre vie est incertaine.
Et si vous êtes là et si vous êtes mûr
Que sa course soit terminée !
On l’a mise à Pantin dans un coin près du mur
Derrière on voit des cheminées.
QUE DIABLE
Paroles et musiques Guy Béart. Editions Espace (1978)
Satan ne croyait plus en Dieu
Ne croyait plus au merveilleux
Il ne croyait
En somme
Qu’à ce qu’il voyait
Les hommes
Satan ne voyait plus les cieux.
Chemin faisant il rencontra
Courant une bande de rats
Qui chantaient à
Tue-tête
Des refrains mal-
Honnêtes
Satan bien sûr les ignora.
Que diable Satan
Depuis des siècles qu’on attend
Si tu ne crois plus c’est inquiétant
Que diable Satan
Que diable fais-tu à présent
Que n’importe qui est malfaisant.
Il s’en alla dans la cité
Croisant des foules excitées
O pas vraiment
Méchantes
Pour quatre francs-
Cinquante
Des âmes à vendre au rabais.
Oui mais à quatre pas de là
Il tomba sur un drôle de gars
Adolescent
Cynique
Qui lui dit sans
Panique
Non voyons tu n’existes pas.
Que diable Satan
Puisque tu ne crois plus en dieu
Pauvre diable tu ne fais plus sérieux
Que diable Satan
Tu veux trop vivre avec ton temps ;
Tu n’es même plus excitant.
O chimère ôte-toi de là
Tu ne crois plus en l’au-delà
Et c’est irré-
-médiable.
Tu n’es qu’un ef-
froyable
Guignol en costume de gala.
Personne ne croit plus ici
Et partout çà sent le roussi
La vertu c’é-
-tait triste
Mais sooyons ré-
-aliste
Le mal est devenu triste aussi.
Que diable Satan
Depuis que tu n’es plus croyant
On ne te croit plus c’est effrayant.
Que diable Satan
Puisque te voici mécréant
Tu n’es plus que fumée néant.
Alors le serpent séducteur
Poussa des sanglots de douleur.
Que Leviathan
M’assiste
Si de ce temps
J’existe
Dieu existe aussi j’en ai peur.
Voilà comment quand et pourquoi
Le Diable retrouva la foi
Depuis il est
Plus vache
Alors on se
L’arrache
Et tout le monde brûle dans la joie.
Le grand chambardement à la télé (INA) http://www.ina.fr/divertissement/chansons/video/I07085696/guy-beart-le-grand-chambardement.fr.html
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A lire dans LA CROIX du 17 octobre 2015
Au large, Guy Béart s’en est allé…
Troubadour de la chanson française, Guy Béart est décédé hier à 85 ans. Il laisse des chefs-d’oeuvre, dont le plus célèbre, L’eau vive
Au tournant des années 1950 et 1960, le producteur de disques Jacques Canetti parlait des « trois B de la chanson ».
Auprès de Georges Brassens et de Jacques Brel, la troisième place était dévolue à Guy Béart, né au Caire en 1930,
décédé mercredi 15 septembre 2015 à Garches (Hauts-de-Seine), où il vivait.
Il n’est que de songer à ses oeuvres devenues pièces de patrimoine pour prendre conscience de sa place au panthéon de
cet art qu’il refusait de considérer comme mineur. Ce qui donna lieu à une passe d’armes télévisuelle avec Serge
Gainsbourg qui, sans doute, lui fit du tort auprès d’une jeunesse qui eut peu l’occasion d’écouter ses chansons… Guy
Béart, qui présenta de 1963 à 1970 l’émission « Bienvenue » à la télévision, n’était plus entendu depuis longtemps. Peu
friand de celle qu’il surnommait dans son dernier album, il n’y apparaissait plus, faisant Télé Attila mine de s’étonner
lorsqu’un journaliste le contactait.
Ingénieur, il chante dans les cabarets
De son vrai nom Guy Béhar, le père de la comédienne Emmanuelle Béart eut une enfance marquée par les
déménagements: de l’Égypte à la Grèce, du Mexique au Liban. Il arrive à Paris à 17 ans. Aussitôt inscrit à l’École normale
de musique, il intègre aussi celle des Ponts et Chaussées, devient ingénieur, spécialiste des cristaux et de la fissuration
du béton.
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Quelle carrière choisir? À la mort de son père, en 1952, il subvient aux besoins familiaux dans des bureaux, et dès 1954,
en présentant ses oeuvres dans les cabarets des deux rives de la Seine.
De la Colombe aux Trois Baudets, les textes de ce drôle d’employé font mouche. Patachou intègre à son répertoire Bal
, et sa poésie du chez Temporel temps qui passe: « Pense à ceux qui tous ont laissé leurs noms gravés/Auprès du nôtre.
» D’autres suivent son exemple: Zizi Jeanmaire s’empare de Chandernagor. « Elle avait, elle avait/Le Karikal difficile/Elle
avait elle avait/Le Karikal mal luné ». Combien ont chanté sans les comprendre ces paroles pleines de fantaisie? Juliette
Gréco, elle, rendait immortel à Saint-Germain-des-Prés le refrain de Qu’on est bien… Bien avant celui d’Il n’y a plus
d’après.
L’eau vive, le succès
La reconnaissance arrive en 1957. Jacques Canetti lui fait enregistrer son premier 25 cm. La production en est confiée à
Boris Vian. Grand prix de l’Académie du disque français, il propulse Béart sur la scène de l’Olympia où ses fous rires et
ses trous de mémoire ne désespèrent pas le public.
En 1960, enfin, arrivent L’Eau vive et le succès: une chanson évidente. De celles qui s’apprennent sur les bancs de
l’école au côté des poèmes de Prévert. Rétif à l’industrialisation du disque, Guy Béart crée par la suite son label, et entre
en procès avec Philips, son ancienne maison de disques, qui refuse de lui rendre les droits de ses chansons.
Insaisissable, il enregistre en 1966 un album de vieilles chansons françaises, Vive la rose. Puis s’oriente vers la jeunesse
avec un projet autour de l’espace.
Adieux à l’Olympia en 2015
Oublié, affaibli par les ennuis de santé, qu’il aborde dans un livre, L’Espérance folle (1987), il donne de ses nouvelles au
gré d’albums inédits (Demain je recommence, en 1986, Il est temps, en 1995, Le meilleur des mondes, enregistré chez
lui, en 2010). Le 17 janvier 2015, il fait ses adieux à la scène, à l’Olympia: près de quatre heures portées par un public
fidèle qui, à deux reprises, reprend avec lui L’Eau vive. Jusqu’à ces derniers mots: « Pleurez, pleurez, si je demeure
esseulé / Le ruisselet, au large s’en est allé… »
JEAN-YVES DANA
Mon commentaire Merci Yann pour votre ouverture du coeur
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