Le dimanche 28 avril 2024 le réseau ignatien de Nancy a organisé une journée festive d’action de grâce en mémoire du Père Aimé Duval, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa mort. L’occasion d’évoquer le destin du jésuite qui incarna la chanson chrétienne populaire. Une évocation qui comptera 3 volets.
Pour des renseignements complémentaires voir le site animé par le neveu du P.Duval, Pierre-Aimé Duval.
http://pierre.aime.duval.free.fr/aime.htm
Sur rcf réécouter l’émission « un air qui me rappelle » en écho au parcours du P.Duval.
https://www.rcf.fr/culture/un-air-qui-me-rappelle?episode=479275
Première étape de ce chemin de mémoire avec Gaëtan de Courrèges artiste lui-même et qui a consacré un album au répertoire du P.Aimé Duval.
https://www.bayardmusique.com/album/170/gaetan-de-courreges-chante-le-pere-duval-gaetan-de-courreges
Biographie
Aimé Duval naît au Val d’Ajol, dans les Vosges, le 30 juin 1918, cinquième de neuf enfants d’une famille d’agriculteurs.
Collégien chez les Jésuites, en Belgique, il étudie la philosophie, l’horlogerie, l’astronomie, la musique, le chant, le piano et compose sa première chanson. Après deux ans de noviciat, il s’engage pour la Syrie en 1939. Il est démobilisé en 1941.
Ordonné prêtre le 24 juillet 1949, il est nommé professeur de Français au collège jésuite de Reims, dont il dirige la chorale.
A partir de 1953, il se consacre essentiellement à la composition des chansons qui le rendront célèbre, et aux tournées. Le public est de plus en plus nombreux à venir écouter cet étrange curé en soutane qui chante « Monsieur Jésus-Christ » en s’accompagnant à la guitare. Les salles sont pleines à Paris comme en province : le Gaumont-Palace, le Palais de Chaillot, l’Olympia… Plus tard, ce sera l’Angleterre (18.000 auditeurs à Londres) et toute l’Europe, le Canada, les États-Unis et même derrière le rideau de fer.
Son premier disque, enregistré en 1956, atteint les 45.000 exemplaires en trois semaines. En 1961, les 14 enregistrements atteindront le million.
Sa célébrité devient telle que Georges Brassens, qui deviendra son ami, lui consacre un couplet de sa chanson Trompettes de la Renommée : « Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente avec le Père Duval, la calotte chantante… »
En décembre 1983 paraît son livre L’enfant qui jouait avec la Lune où il raconte sa maladie alcoolique et comment il s’en est sorti.
Il meurt le 30 avril 1984. L’Académie Charles-Gros lui décerne le Grand Prix du Disque post mortem.
Bouquet de Chansons
Le jeudi matin, au collège, c’était Musique. Et cette semaine-là, chose inhabituelle, le professeur apporta en classe un électrophone de marque Teppaz et un petit disque 45 tours. Le Père Duval chantait « Qu’est-ce que j’ai dans ma p’tite tête ? ». Et ce fut comme un lever de soleil, comme un courant d’air frais chassant la poussière accumulée sous les pupitres, comme de soudaines grandes vacances. Beaucoup de jeunes d’alors, j’en suis témoin, vibrent encore de la même émotion, soixante ans plus tard, à l’évocation de ces chansons. Dans le sillage d’Aimé Duval, viendront très vite d’autres interprètes que, faute de mieux et parfois malicieusement, on étiquettera « chanteurs catho » : Maurice Cocagnac, Marie-Claire Pichaud, et même Didier Rimaud. Le Studio SM gardera longtemps l’initiative dans la promotion des nouveaux talents qui suivront : Raymond Fau, John Littleton, le Pax Quartet, le groupe Crëche, les Ionatos, puis de leurs successeurs dont les noms s’enchaînent au générique de ce florilège.
Mes souvenirs :
En 1954, je déniche la vénérable guitare de ma grand-Mère pour 3 accords sur « Le Seigneur reviendra ».
En 1982, j’enregistre ce titre pour Auvidis, ainsi que les autres titres incontournables, accompagné par François Rauber, Olivier Delgutte et Sylvano Santorio.
Quelques mois plus tard, j’en écoute la maquette avec Aimé Duval lui-même. Nous envisageons une participation au « Grand Échiquier » (voir ci-dessous).
Le 7 octobre 1982, dans la basilique souterraine de Lourdes, j’interprète ces chansons devant quelque 10.000 personnes.
Le 30 avril 1984 au soir, un journaliste de La Croix m’apprend la mort d’Aimé Duval et me demande de lui dédier les quelques lignes (voir ci-dessous).
Le 15 mai 1985, nous sommes une quinzaine de Chanteurs en Église (Bonsirven, Courrèges et Delgutte, Raymond Fau, Gambarelli, Gianadda, Mutin, les Pradelles, Sciaky) à lui rendre hommage à Nancy devant une salle comble.
Puis j’enchaîne une série de soirées qui lui sont dédiées, un peu partout en France et à l’étranger.
Le 26 décembre 2004, Martin Féron leur consacre une émission entière sur France 2.
Pierre Duval, neveu d’Aimé et animateur d’un groupe d’épinettes des Vosges, m’invite à chanter à Plombières. Je rencontre les anciens de sa famille et visite les lieux de son enfance.
Les 6 et 7 août 2005, un festival en hommage au Père Duval regroupe, à Xonrupt, des chanteurs aussi différents que Aquero, les Artaud, Bourel et Valentin, Glorious, Grzybowski, Sper-Hit, Tsefanya. et moi-même.
Le 14 avril 2013, les Jésuites, quittant leur résidence de Nancy où avait séjourné Aimé Duval, me demandaient de venir chanter ses chansons dans ces lieux, une dernière fois.
En 2015, les éditions ADF/Bayard-Musique me demandent de réaliser un coffret de 2 CD « Anthologie du Père Duval ». Ci-dessous quelques extraits des textes écrits pour le livret.
Le 10 mars 2023, la boucle est bouclée avec un dernier concert Duval à Lilia, en Bretagne.
La Croix, 3 mai 1984 :« Tu as donné à l’Évangile son goût de pain frais »
UNE RÉACTION DE GAËTAN DE COURRÈGES
À la mort du Père Duval, nous avons demandé une réaction à Gaëtan de Courrèges, chanteur et compositeur :
Qu’est-ce que j’ai dans ma petite tête à pleurer comme ça, ce soir ? Il nous avait pourtant prévenus de longue date : Le Seigneur reviendra, il l’a promis. Le ciel était au coin de sa rue : après avoir hésité longtemps, il vient de passer le carrefour, tout simplement. Il aspirait tant à cette ultime rencontre qu’elle ne pouvait plus être une surprise : alors, tu es là, je te vois découvert, je vois ton visage et la table où tu mets deux couverts…
Aimé, ce soir, je voudrais te remercier de la part d’un grand gosse de 13 ans. Avec tes petites chansons, tu lui as appris deux ou trois choses toutes simples : que la foi, d’abord, n’est pas échafaudage de principes, mais rencontre. Comme tant d’autres, les principes patiemment ingurgités à l’ombre des pupitres ne me faisaient pas vivre. Toi, tu me parlais des petites gens, de leurs tendresses et de leurs colères, de Monsieur Jésus-Christ, surtout. Tu redonnais à l’Évangile son goût de pain frais : le ciel est rouge, il fera beau. J’ai joué de la flûte sur la place du marché et personne avec moi n’a voulu danser…
Et, du coup, j’ai pris en grippe toutes les idéologies qui font oublier les visages. Tu chantais, et la foi n’avait plus cette odeur de vieille sacristie. Elle ne récitait plus ses phrases par cœur, elle choisissait son vocabulaire dans le dictionnaire de tout le monde. La foi faisait de la poésie avec les mots de tous les jours.
Du coup, je ne supporte plus les chansons et les cantiques tarabiscotés, rabâcheurs, bien-pensants.
Tu m’as appris la foi au quotidien, en quelques mots libres et amicaux, et je me souviens du courant d’air frais qui traversa la classe ce jour-là, soulevant la poussière, poussant à l’aventure. Du coup, j’ai récupéré une vieille guitare, j’en ai fait un pont au-dessus d’un fossé de timidité et de convenances. J’ai inventé des mots passerelles, des petits mots, des petites musiques, des petits disques tournant en rond et qui répètent inlassablement la même chose : on ne peut rencontrer Dieu autrement qu’à travers l’homme.
« Gaëtan de Courrèges chante le Père Duval ».
Le 6 avril 1982, nous nous retrouvons tous les deux assis côte à côte pour écouter la maquette de ce 33 tours pas encore commercialisé. Je suis paralysé, comme un fan des Beatles rencontrant Mc Cartney. Au bout d’un moment, il me dit : « J’aurais bien aimé avoir des orchestrations comme les tiennes… J’aurais aussi aimé avoir ta voix ». Merci. Puis nous parlons d’une possibilité de partager un Grand-Échiquier de Jacques Chancel, lui parlant de son livre « Lucien, l’enfant qui jouait avec la lune », témoignage de son addiction à l’alcool, et moi interprétant ses chansons. L’émission ne se fera pas : il mourra avant.
Textes extraits du livret « Anthologie du Père Duval »
Aimé Duval et Monsieur Jésus-Christ
Difficile pour les jeunes chrétiens d’aujourd’hui d’imaginer le pavé que lança ce jésuite de 35 ans dans la mare des conventions de l’époque. Né dans une ferme vosgienne du Val d’Ajol, Aimé Duval va connaître une popularité fulgurante qui dépassera vite les limites de la sphère catho et francophone. Avec sa soutane, sa guitare et ses petites chansons, il s’invite d’abord au comptoir des bistrots (la première fois à Vittel, ça ne s’invente pas). Il chante ce « Monsieur Jésus-Christ » (comme il dit) qui le fait vivre. Et les gens écoutent. Si bien que Maurice Robreau, fondateur de Studio SM, lui grave en 1956 son premier microsillon 45 tours : « Le Seigneur reviendra », puis un second, puis un troisième…
En ces années cinquante, on sent quelques vagues à la surface des bénitiers : le livre de Godin et Daniel, « France, pays de mission ? » a révélé combien le peuple s’éloigne de l’Église. Du coup, les curés commencent à sortir des sacristies. La silhouette de l’abbé Pierre dans les neiges de l’hiver 54 en dit plus long que les sermons. Et quand Duval se retrouve face à son ami Brassens au cours d’une émission télé délectable, on sent bien que les temps changent. Ce n’est pas encore Vatican II, mais ça ne saurait tarder.
Les réactions sont contrastées : les gardiens du temple s’offusquent de voir un prêtre saltimbanque, les musicologues dénigrent le simplisme des mélodies ; mais la grande majorité des gens, toutes obédiences confondues, se laisse émouvoir par cette poésie simple et cette foi communicative.
Sur sa moto, Aimé Duval sillonne maintenant les routes, additionnant les kilomètres et les salles combles. De sa voix tranquille, un peu chantante, il présente chaque titre, égrenant un arpège entre les phrases. « Celle-là, je l’ai composée une nuit en rentrant de Marseille. Marseille-Nancy à moto, c’est long, plus de 700 km… En traversant Lyon, je regardais les quelques fenêtres éclairées et je me disais : il y a là un homme qui part pour l’usine, ou bien une femme qui veille un malade… Des petites gens, oui… Vous voulez bien la chanter avec moi ? » Et il entonne : « Je m’en vais bien des fois, mon Seigneur avec moi, me promener la nuit, seul avec lui… ».
Parfois il y a des imprévus, comme au Palais des Sports de Paris, lorsqu’un homme, qui n’a manifestement pas bu que de la limonade, monte à ses côtés et s’empare du micro pour un répertoire peu catholique. Ou ce dimanche matin quand la sacristine d’une église méridionale vient prévenir M. le Curé qu’un clochard dort sur le parvis : il s’avèrera que le squatter n’est autre que Duval, arrivé en avance pour son concert du soir.
Et puis tout s’accélère : plus d’un million de disques vendus, 10.000 demandes de concert dans 40 pays, 30.000 spectateurs en un soir à Berlin, trois fois 17.000 à l’Albert Hall de Londres… Et l’alcool. Pour tenir, pour se réchauffer, pour oublier l’implacable solitude d’après concert. Il en tirera des malaises, des chansons de plus en plus sombres ; puis une renaissance et un livre courageux et salutaire: « L’enfant qui jouait avec la lune », sous son pseudo d’Alcoolique Anonyme, Lucien. Avec un bandeau rouge : « Chanteur, Jésuite, Alcoolique ».
Je l’ai revu quelques mois avant sa mort. Il était rongé d’un feu intérieur. Nous avons écouté, côte à côte, la maquette du disque de ses chansons que je venais d’enregistrer. Tout le disque. Je tairai ce qu’il m’en a dit : trop intime. Nous devions préparer un Grand Échiquier de Jacques Chancel « spécial Père Duval », moi pour les chansons, lui pour le témoignage sur sa maladie. Il est mort le 30 avril 1984, trop tôt. Dans La Croix du lendemain, j’ai écrit : « Tu as redonné à l’Évangile son goût de pain frais ».
Gaëtan de Courrèges
La prière du soir en famille :
J’étais le cinquième d’une famille de neuf enfants. (…) Dans cette famille, on ne m’a pas appris la piété expansive et démonstrative. Il n’y avait quotidiennement que la prière du soir, récitée en commun. Mais alors, de cela, je me souviens et me souviendrai jusqu’à mes yeux fermés. (…)
Ce qui m’émeut aujourd’hui, c’est de me souvenir de l’attitude de mon père. Lui qui était toujours fatigué par ses travaux de campagne ou de transport de bois, lui qui montrait sans honte qu’il était fatigué à son retour de travail, voilà, qu’après chaque repas du soir, il se mettait à genoux, les coudes appuyés sur le siège d’une chaise, le front dans les mains, sans un regard pour ses enfants autour de lui, sans un mouvement, sans tousser, sans s’impatienter. Et moi, je pensais « Mon père qui est si fort, qui commande sa maison, ses deux gros bœufs, qui est fier devant les mauvais coups du sort et si peu timide devant le maire et les riches et les malins, voilà qu’il se fait tout petit devant le Bon Dieu. Vraiment, ça le change de causer au Bon Dieu. Vraiment, le Bon Dieu doit être quelqu’un de bien grand pour que mon père s’agenouille, et de bien familier aussi pour qu’il lui cause avec ses habits de travail… »
Quant à ma mère, je ne l’ai jamais vue à genoux. Trop fatiguée, elle s’asseyait au milieu de la chambre, le dernier-né dans les bras, la robe noire jusqu’aux talons, ses beaux cheveux châtains déroulés sur son cou et tous les gosses autour d’elle, appuyés contre elle. Elle suivait, des lèvres, les prières d’un bout à l’autre, elle ne voulait pas en perdre une miette, elle les disait pour son compte. Le plus curieux, c’est qu’elle ne s’arrêtait pas de nous regarder, chacun sous son regard. Un regard plus long pour les petits. Elle nous regardait, mais elle ne disait jamais rien. Même pas quand les petits remuaient et chuchotaient, même pas quand le tonnerre claquait sur la maison, même pas quand le chat renversait une casserole. Et moi, je pensais : « Vraiment, le Bon Dieu est bien gentil pour qu’on puisse lui causer avec un enfant dans les bras, avec son tablier de travail. Vraiment, le Bon Dieu est quelqu’un d’important pour que le chat ou le tonnerre n’ait plus d’importance. »
Cité par Pierre Duval sur le site dédié à son oncle : http://pierre.aime.duval.free.fr/priere.htm
Duval et le Good Book :
En une fin d’après midi de 1966, Denise était toute seule au comptoir.
Entre un monsieur entre deux âges, assez pauvrement vêtu, les bords de son chandail élimés, qui s’assoit au comptoir et demande une bière. Tout en buvant , il regarde autour de lui, d’un air intéressé, les photos, les affiches et les objets hétéroclites qui sont accrochés aux murs. Ses yeux, qu’il a d’ailleurs très vifs, se posent sur la pochette d’un disque qui se trouve derrière le comptoir, à côté du vieux « phono » de service. Il s’agit du fameux « Good Book » de Louis Armstrong. Curieusement, le monsieur demande à Denise si elle ne veut pas lui vendre ce disque. Elle lui dit qu’il peut l’acheter n’importe où, à la FNAC, par exemple. Il répond qu’il n’a pas le temps, car il doit partir dans quelques heures pour les États-Unis, où il va donner un concert au Carnegie Hall ! Puis son regard se pose sur une guitare qui traîne en permanence, appuyée sur le dossier d’une banquette. Denise lui demande s’il en joue. Il répond: « Un peu ». Tout de même assez intriguée, Denise lui demande qui il est. Il montre, alors une affiche de Georges Brassens et de Juliette Gréco, qui passent présentement à « Bobino » et il a cette curieuse réponse : « Georges Brassens parle de moi dans une de ses chansons ! »
« Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente
Avec le Père Duval, la calotte chantante… »
(Trompettes de la renommée, de Georges Brassens)
Denise qui a l’esprit vif et à qui on ne la fait pas, réagit au quart de tour :« Vous êtes le père Duval ! » (…)
Quand il est revenu des États-Unis, il a fréquenté la Scala régulièrement, et je dois avouer, moi qui n’ai pas une croyance dogmatique excessive, que nous avons pris, Denise et moi, un grand plaisir à deviser avec lui ! Quand il nous parlait de Teilhard de Chardin ou du manque de spiritualité du peuple américain (malgré que la religion soit à toutes les sauces, y compris dans les milieux boursiers…), ou d’une quelconque théorie de théologie, on n’avait pas l’impression d’être devant un curé « prechi precha » ! Il buvait sec, et quand il s’enflammait un peu sur sa propre obédience qui était loin d’apprécier ses pratiques « marginales » et sa façon de vivre, y compris le chant, tout cela considéré comme révolutionnaire, c’était grandiose et instructif ! Cette liberté, ce manque d’hypocrisie et surtout cette grande érudition, nous enchantaient toujours. (…)
Oui, le père Aimé Duval était un grand personnage, en tout cas à nos yeux et aux yeux de ceux qui l’ont approché ! Nous en gardons un souvenir à la fois profond et amical !
Extrait du site « La Scala retrouvée » : http://dune2.unblog.fr/2009/03/
Duval et la Joie de l’Évangile :
La lecture cet été de La joie de l’Évangile du pape François a réveillé en moi de vieux souvenirs et suscité ma réflexion. (…)
J’ai eu la chance extraordinaire de rencontrer autrefois l’un de ces aventuriers de Dieu, précurseurs et visionnaires. En 1954, à Épinal dans les Vosges, fut décrétée une mission générale sur l’ensemble de la ville. (…) Le dimanche de Laetare , alors que j’étais en train de revêtir aube rouge et surplis blanc, je vis entrer dans la minuscule sacristie un jeune prêtre que je ne connaissais pas. Je ne conserve aucun souvenir des mots que nous avons échangés avant la célébration mais je garde en mémoire, aussi fulgurantes qu’il y a soixante ans, les paroles brûlantes qui jaillirent de sa bouche au moment du sermon : l’homélie portait sur la joie ! À nos oreilles habituées à une catéchèse de la nuit, de la peur, de la culpabilisation, résonnait, foudroyant comme un soleil, un exultet, un hymne à la joie, joie d’être fils de Dieu et frères de Jésus, joie d’être aimés d’un Père débarrassé de sa défroque de père Fouettard, joie d’être vivants pour toujours ! Dieu, mon allégresse ! De sa voix si particulière, un peu hachée et légèrement enrouée, le P. Aimé Duval – car c’était lui – nous a en un instant métamorphosés, transfigurés. Sa fougue électrisante, sa passion obsessionnelle pour la joie de l’Évangile ont marqué pour toujours, tel un stigmate, ma vie et ma foi chrétiennes. Il n’avait pas encore la célébrité qu’il connaîtra plus tard en tant qu’auteur-compositeur-interprète mais, dans les veillées et les familles où on le conviait, déjà il chantait ses premières chansons : Seigneur, mon ami, Pourquoi viens-tu si tard ?, Le Seigneur reviendra…
Nous étions un groupe de jeunes qui l’aurions suivi jusqu’au bout du monde. Toutefois, il ne réservait pas son fabuleux enthousiasme et son exceptionnel magnétisme aux habitués de l’Église, aux sages brebis du troupeau. La « nouvelle évangélisation », lui, il l’avait déjà inventée et il la mettait en pratique. Souvent, le soir, il s’invitait dans les bistrots fréquentés par les ouvriers d’usine du coin (filatures et tissages). Il y avait un café à cent mètres de la maison de mes parents : le Café de l’Union. Là, il s’attablait, commandait une bière et engageait la conversation. Au fond, l’épisode de la Samaritaine revisité ! Tutoyant tout le monde, il parlait de Jésus-Christ et des choses de la vie. Du sens de notre présence sur terre aussi. Bréviaire de comptoir ! Fascinant ! Attentif, il écoutait les gens, leurs difficultés à croire ou à vivre. Sortir. Aller à la rencontre. L’homme en soutane, au bout d’un moment, prenait sa guitare et se mettait à chanter, à évangéliser par ses refrains. Lagardère de la Bonne Nouvelle : « Si tu ne vas pas à Jésus-Christ… ». C’était avant l’aventure des chansons, avant les concerts, avant les disques. Il ouvrait un chemin nouveau (à défaut d’un Chemin neuf). L’Église n’a guère suivi. Avec le P. Duval, relisons Matthieu 11, 17 : « J’ai joué de la flûte sur la place du marché et personne avec moi n’a voulu danser ».
Forum Joël Grisward de Joué-les-Tours, cité par LaCroix.com, le 15 novembre 2014.
Duval, ce qui le faisait courir :
« Un appétit fringaleux pour l’amitié, un acharnement de bœuf à sortir les gens de la misère, une témérité imbécile à affronter le malheur sous toutes ses formes, crier partout que la violence est connarde et le pardon des injures la seule noblesse du cœur, voilà ce qui m’a fait faire deux millions de kilomètres dans 40 pays ».
L’enfant qui jouait avec la lune, éditions Salvator, page 18.
Duval, la prière des jours sombres :
« Monsieur Jésus, depuis le temps que nous sommes amis, vous me connaissez, je ne suis pas malhonnête, vous savez que je ne veux faire de mal à personne. Vous savez que je suis votre ami, vous savez que je chante pour mes frères. Vous savez que je n’aime pas l’argent ni les honneurs. Vous savez aussi que je deviens vieux et pas beau. J’ai perdu la jeunesse, le moral, la santé, les amis. J’ai presque tout perdu. Sauf vous. Ne m’oubliez pas, s’il vous plaît ».
L’enfant qui jouait avec la lune, éditions Salavator, page 37.
Brassens, Duval et la foi :
« Mon ami Brassens dit au journal La Voix du Nord, qui l’interrogeait : « Je n’ai pas la Foi, mais je ne suis pas absolument sûr d’avoir raison. Lucien [Aimé Duval, ndlr] a la Foi, mais il n’est absolument pas sûr d’avoir raison ».
L’enfant qui jouait avec la lune, éditions Salvator, page 119.
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